Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Après avoir rempli puis vidé des urnes aussi transparentes qu’un patrimoine de sénateur, le moment est venu de définir le portrait-robot du nouveau locataire de l’Elysée. Quoique l’Académie française déconseille la mutation d’un substantif en adjectif, ce pourrait être un président-citoyen comme au milieu du XIXe siècle Louis-Philippe fut un roi citoyen que Daumier caricaturait sous la forme d’une poire abritée par un parapluie. Car c’en est fini de la fausse simplicité de Giscard allant dîner chez des Français en n’apportant qu’un petit pot de confitures confectionné par Anne-Aymone ou donnant des récitals d’accordéon en pullover après avoir pris le métro. L’époque est également révolue où Mitterrand, élu de gauche, pouvait impunément emprunter à l’armée un hélicoptère pour aller jouer au golf comme un grand bourgeois. Le château de Chirac en Corrèze, les vacances de Sarkozy au cap Nègre, la villa azuréenne avec piscine de Hollande sont à ranger dans la panoplie des vieilles lunes. Si notre nouveau chef d’Etat possédait une bicoque sur un littoral à la mode, je lui suggérerais de la mettre au nom de sa femme...
Les Français ont besoin d’un président qui vive comme eux 24 heures sur 24. Rien n’est plus choquant quand on dirige un pays au bord de la faillite que de se faire offrir un train de vie de milliardaire. Le salaire présidentiel serait indexé sur le smic mais assorti d’une prime à chaque concrétisation d’une promesse électorale. Son secrétariat serait assuré – bénévolement – par les membres de sa famille n’ayant pas été pris en charge par la Revue des deux mondes. Toujours dans le cadre de la paupérisation des élites, il ne s’habillerait qu’en soldes. Pas question de loger à l’Elysée, simple siège social. Mais plutôt dans un quartier populaire ou au sein d’une banlieue difficile. Ainsi, le premier des Français pourrait-il, comme les autres, venir travailler chaque matin en RER sans autre protection rapprochée qu’un judoka à la retraite tiré au sort par la Française des jeux. On ferait l’économie d’un parc automobile de 15 véhicules (décapotable et toit ouvrant bloqué compris) et d’une cuisine avec 20 marmitons. Pour son déjeuner, le président-citoyen ferait appel à des livreurs de pizzas et remplacerait les repas officiels par la remise de Ticket Restaurant aux souverains étrangers ravis d’aller ensuite se remplir la panse dans un établissement de leur choix. Le Premier ministre et le gouvernement resserré à moins de 10 membres seraient hébergés avec conjoints et enfants dans une vieille caserne désaffectée puis réaménagée. Plus de tribunes dressées à grands frais place de la Concorde pour le 14 Juillet, mais un siège (de jardin) installé derrière l’une des barrières censées contenir l’enthousiasme de la foule. Pour ses rares voyages au-delà des frontières, programmés après sa tournée des 36 000 communes de France, train et avion de ligne suffiraient. A partir de la deuxième année de son mandat, les fatigants déplacements en province seraient remplacés par des projections d’hologrammes réalisées en toute quiétude depuis sa salle à manger.
Chaque semaine, le Journal officiel publierait son emploi du temps citoyen. De vrais contacts avec la population le renseigneraient davantage sur ses véritables aspirations que des chargés de mission sortis de l’ENA. N’étant plus astreint à aucun rituel traditionnel, le Président occuperait ses journées à visiter les accouchées, les grands malades et les vieux sans famille. La scolarité de ses enfants - s’il y en a - s’effectuerait dans une zone d’éducation prioritaire et s’achèverait par un début d’apprentissage à 16 ans. Certes, on perdrait en faste et en luxe. Mais on gagnerait en sobriété et en chaleur humaine. Le président-citoyen devrait également s’astreindre à une heure de selfies chaque matin dans un quartier non résidentiel. Pour ses loisirs, le magistrat suprême aurait droit à une séance de cinéma par semaine et à une représentation dans un théâtre de chansonniers tous les deux mois. Ses vacances seraient du même tonneau, qui se limiteraient à quelques jours passés dans une sous-préfecture enclavée sous le toit d’une famille d’accueil. Les médias en seraient pour leurs frais qui n’auraient pas plus à cancaner sur l’existence du chef de l’Etat que sur celle de ses voisins de palier. Cela en serait fini des idylles tapageuses avec des actrices et d’un célibat donnant lieu à des situations libertines. La transparence conjugale exigerait qu’il soit marié, si possible pour la première fois, et qu’au moins durant tout le quinquennat il ne passe pas à une union suivante. Une fois par mois, prenant la relève de la dame météo de service, le citoyen président s’adresserait aux Français par le truchement de la télévision. A condition que son intervention ne dure pas plus de cinq minutes, qu’il renouvelle son vocabulaire, limite le recours aux bons sentiments et qu’à la fin il raconte une histoire drôle. Moyennant quoi, resté proche du peuple qui l’a élu et ne jetant plus les deniers publics par les hublots des salles de bains volantes et les fenêtres des palais nationaux, sa réélection ne constituerait qu’une formalité à un seul tour.
Rien n’est plus choquant quand on dirige un pays au bord de la faillite qu’un train de vie de milliardaire