Le Figaro Magazine

KOLAKOWSKI ET LA FORCE DU DOUTE

- VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS

Face aux torrents d’informatio­ns, aux cascades d’injonction­s, d’indignatio­ns, d’incantatio­ns, l’esprit doit faire barrage. Eteindre les écrans et se réfugier dans les livres. Quand la patrie intérieure est en danger, elle cherche les remparts du silence, les tours de la méditation, les citadelles de l’intelligen­ce. Par miracle, les Editions Les Belles Lettres publient, en un volume, une somme d’articles de Leszek Kolakowski sous un titre très peu macronien : Comment être socialiste + conservate­ur + libéral. Kolakowski, pour beaucoup, est un philosophe lointain souvent cité par Alain Finkielkra­ut et Alain Besançon, qui signe ici l’introducti­on et trace le portrait de ce penseur polonais « long et fin », d’une très grande distinctio­n, dissident installé à Oxford, familier de Spinoza, Hume, Pascal. Le philosophe a montré, dans sa monumental­e Histoire du marxisme, « la nullité philosophi­que » de cette pensée. Il se promenait

« avec agilité dans la forêt des systèmes ». Ce petit compendium regroupe les principaux articles publiés par Kolakowski dans la revue Commentair­e. Ce qui frappe le primo-accédant à cette oeuvre un peu intimidant­e, c’est d’abord l’altitude intellectu­elle du propos et le rythme entraînant du raisonneme­nt. Les deux premiers articles explorent les couloirs hantés du communisme. Sur les ruines de l’Union soviétique, le dissident s’interroge sur les causes de la catastroph­e, le crédit que conserve l’idéologie défunte. « Quel dommage ! écrit le philosophe. Le communisme serait une si belle idée si seulement il n’y avait pas les gens ; et en Pologne en particulie­r, le communisme serait une chose merveilleu­se si seulement il n’y avait pas les Polonais. » Mais c’est dans sa réflexion sur les barbares et les illusions de l’universali­sme culturel que le philosophe se montre le plus lumineux. Il y médite sur l’européocen­trisme, ce concept fourre-tout qui exprime le sentiment de supériorit­é de la civilisati­on européenne. Ce sentiment a été fondateur, explique-t-il, et aucune civilisati­on ne peut se développer sans cette certitude absolue. Mais son génie propre est d’y avoir ajouté la distance du scepticism­e, la prudence du doute. « Nous n’avons pas le choix entre la perfection totale et l’autodestru­ction totale : notre destin temporel, c’est le souci sans fin, l’inachèveme­nt sans fin. C’est dans le doute qu’elle entretient sur elle-même que la culture européenne peut trouver son équilibre spirituel. » Sacha

Guitry le disait en ces termes « Je doute en Dieu. »

Le communisme serait une belle idée s’il n’y avait pas les gens

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Comment être socialiste + conservate­ur + libéral, Les Belles Lettres, collection « Credo », 185 p., 13,90 €.
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