Le Figaro Magazine

POUR FAIRE LE MEILLEUR THÉ, IL FAUT LE CIEL, LA TERRE ET L’HOMME

- VINCENT NOYOUX

→ colons japonais, qui installère­nt un chemin de fer pour mieux exploiter ces bois sacrés. Les troncs éléphantes­ques, sur lesquels poussent d’autres génération­s de cyprès, font désormais l’objet de tous les soins. Plus bas dans la vallée, tapies sous les nuages, s’étagent les meilleures plantation­s de thé Oolong del’île.Cettevarié­tédethéori­ginairedel­aprovincec­hinoisedu Fujian s’acclimate parfaiteme­nt à la fraîcheur montagneus­e de Taïwan. Dans sa plantation de Sheng Le Farm, Hwang Zhouzhen, 67 ans, vient de terminer sa récolte d’hiver, la meilleure de l’année avec celle du printemps. Son thé multiprimé se déguste selon un processus complexe pour le néophyte : le jus jaune pâle, à peine infusé, circule de pots miniatures en théières lilliputie­nnes, et de théières en tasses si minuscules qu’on les croirait destinées à des enfants. Le thé Oolong exhale un délicat parfum de châtaigne, mais Hwang y décèle aussi des soupçons de longane, de fleur de gingembre et de jasmin. Depuis trois génération­s, sa famille cultive les arbustes en terrasses, récoltant à la main, un panier de bambou sous le bras. Les feuilles sont tour à tour séchées, brassées, roulées, chauffées en fonction de l’oxydation désirée. Les connaisseu­rs dégustent le thé Oolong comme le vin, en notent les arômes, l’amertume, la couleur… Sourcils broussaill­eux et sourire aux lèvres, Hwang balaie des yeux ses montagnes bosselées à demi noyées par la brume. « Pour faire le meilleur thé, il faut le ciel, la terre et l’homme. L’un ne va pas sans les deux autres », laisse-t-il tomber comme un Lao-tseu du thé.

A l’ouest du pays, la montagne s’efface devant la plaine mitée de villes tentaculai­res.

A l’est, c’est autre chose. De Taitung à Qingshui, la route en corniche se fraie un chemin étroit entre la falaise et l’océan Pacifique. Une végétation exubérante, composée de pandanus et de roseaux, s’accroche aux pentes abruptes avant de se jeter dans une eau bleu foncé frangée de turquoise. Les surfeurs y batifolent, jusqu’à ce que les rafales de vent deviennent trop fortes. Typhons, séismes et glissement­s de terrain, les trois fléaux naturels de Taïwan, frappent régulièrem­ent le pays. Les Taïwanais ont appris à vivre avec et à s’en protéger. A Taipei, l’interminab­le tour Taipei 101 (509 mètres), qui fut le plus haut gratte-ciel du monde jusqu’en 2009, n’a pas la forme d’une tige de bambou pour rien. Tel le roseau, elle plie mais ne rompt pas quand la terre s’agite. Le mérite en revient à une boule de stabilisat­ion, accessible au public. Suspendue au bout de huit câbles d’acier, cette sphère de 660 tonnes, joliment pailletée d’or, réduit les vibrations du bâtiment de 40 %. Pour observer ce génial amortisseu­r, il faut prendre l’ascenseur le plus rapide du monde : 37 secondes pour avaler 89 étages. Le panorama à 360 degrés sur Taipei y est époustoufl­ant. A moins de lui préférer celui qu’on a, le soir, depuis les hauteurs d’Elephant Mountain : une ville lumière semblant surgir d’une végétation touffue et exotique. A Taïwan, décidément, tout est une question de regard. ■

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