L’AMOUR COMMENCE À 14 ANS
CHERS RUSSO-CINÉPHILES, souvent vous vous demandez à quoi ressemble le cinéma contemporain au pays du grand méchant Poutine. Produit-il de grandioses oeuvres de propagande à la Eisenstein qui glorifient le maître du Kremlin sous les traits d’un Alexandre Nevski du XXIe siècle ? Oui, assurent les habituels contempteurs de tout ce qui vient de l’est en pointant d’un doigt moral les films de Nikita Mikhalkov qui, depuis quelques années, noie son génie (Urga, Soleil trompeur, Les Yeux noirs, 12) dans des oeuvres patriotiques un peu bas de plafond. Non, répondent ceux qui, au gré des festivals sinon des sorties en salles, ont pu voir et admirer les longsmétrages de Zviaguintsev (Le Retour, Léviathan…), Lounguine (L’Ile, Tsar…), Minaiev ou Sokourov. A cette liste pourra être ajouté le nom d’Andreï Zaïtsev. Dans son délicat 14 ans, premier amour (en salles le 10 mai), le réalisateur quadragénaire capte et restitue avec une justesse, une acuité et une ferveur réjouissantes ces moments d’adolescence où naît le premier sentiment amoureux. Ses deux « tourte-héros » se prénomment Alex et Vika, habitent la banlieue d’une métropole russe et partagent leur temps entre cours de maths ennuyeux, errance désoeuvrée dans les parcs de la ville et promenades libératoires sur internet. Leurs parents boivent et/ou pleurent sur leur sort et leur font raisonnablement honte. Leurs lycées respectifs se font la guerre et il n’est pas question pour eux de se fréquenter. Sauf à risquer de se faire casser la figure et briser le coeur d’un même mouvement. Quoi de plus attirant, à 14 ans ? Avecquelplaisirondécouvre,rassuré,querienneressemble plus aux joies, aux illusions, aux drames, aux maladresses, aux audaces, aux déceptions et aux rêves des adolescents français des années 1960, 1980 ou 2000 que ceux de leurs homologues russes des années 2010. On y retrouve, avec à peine un peu plus de violence (physique ou sociale), les mêmes rapports au monde, les mêmes promesses impossibles, les mêmes rites d’apprentissage qu’en nos contrées. Dans ce modeste Roméo et Juliette slave joliment filmé passent les ombres de Truffaut et de Téchiné. A la suite des jurés du Festival du cinéma russe de Honfleur, qui lui ont décerné leur grand prix, on vote pour. Post-apostrophum : « Et là où l’amour n’existe pas, la raison elle aussi est absente. » (Dostoïesvski).