ÉVÉNEMENT UN CARRÉ D’OR ET DE LUMIÈRES
Pour son 40e anniversaire, le Carré Rive Gauche honore la couleur et la matièrequi symbolisent la fête et le prestige.
Oyez ! Oyez ! Le Carré Rive Gauche célèbre un anniversaire. Il y a quarante ans que s’est constituée cette association pour animer le quartier d’antiquaires du VIIe arrondissement, délimité, d’un côté, par le quai Voltaire et la rue de l’Université, de l’autre, par la rue des Saints-Pères et la rue du Bac. Depuis quatre décennies, chaque printemps, la soirée d’inauguration demeure un rendez-vous couru des Parisiens. A la condition qu’il fasse beau… Collectionneurs, décorateurs, amateurs de curiosités, mondains à l’affût de potins baguenaudent et papotent dans les sept rues fermées à la circulation. Autant dire que les organisateurs guettent le ciel avec angoisse dans les jours précédents. Ils prieront les dieux plus fort encore cette année car animations musicales et restauration en plein air sont au programme de la fête. En ce joli mois de mai, les marchands devraient nous éblouir. Et pour cause : le thème de l’édition 2017 est l’or. Qu’il s’agisse de la couleur ou du métal, on nous promet des objets « extraORdinaires ». De toutes disciplines, toutes époques, toutes civilisations. Suivons le filon en commençant la tournée chez une nouvelle venue : Anne Duchange a quitté Bruxelles pour revenir en France et s’installer quai Voltaire. Une initiative qu’il convient de saluer quand nombre de ses confrères, fuyant les excès du fisc, empruntent le chemin inverse… Passionnée des arts de la Chine, Anne Duchange expose une paire de vases ayant appartenu à Maria Callas, cadeau de l’ardent et milliardaire Aristote Onassis. Ils sont en bronze doré, incrusté de pêches et de chauvessouris, étonnants symboles de longévité dans l’empire du Milieu. Bien que les motifs porte-bonheur n’aient pas tenu leur promesse quant à la durée de ses amours, la cantatrice conservera les vases jusqu’à ses derniers jours. Après la Chine, le Japon. La Galerie Tiago dévoile un précieux coffret namban. Le terme vient de Namban-jin signifiant les Barbares du Sud, ainsi que les Nippons, xénophobes, appelaient les Portugais. Si ce type d’objet en nacre et laque se voit généralement orné de fleurs ou d’animaux, l’écrin datant du XVIIe siècle se distingue par son décor abstrait.
Autour de l’or, cherchons d’autres pépites. En voici une à la Galerie Delalande : il s’agit d’une tabatière dont le couvercle porte une inscription gravée : « Alex(an)dre P(remie)r, Empereur de toutes les
Russies à M(onsieu)r le ch(evalie)r de Trevet ; le 5 juin 1814 ». L’antiquaire s’est aussitôt documenté : « Lassé par la vanité de Louis XVIII, le tsar avait quitté Paris deux jours plus tôt pour rendre visite à sa soeur à Londres ; il aurait offert la boîte au gentilhomme qui l’escorta jusqu’à Calais. » Un autre trésor est à découvrir chez Laurence Jantzen : une canne à système dont le pommeau en vermeil est muni d’un mécanisme qui libère un face-àmain. Chic ô combien ! L’accessoire d’un dandy un peu bigleux. « En trente-cinq ans de métier, assure la spécialiste de cannes anciennes, je n’ai croisé ce modèle que deux fois. » Et pourtant elle a l’oeil !
Chez Carole Decombe, on brille aussi. La galeriste a réuni plusieurs artistes, créateurs de miroirs, de panneaux décoratifs, de verreries, de céramiques qui, tous, enluminent leurs oeuvres à la feuille d’or. Ah ! la délicate feuille d’or… Dire que c’est en battant un lingot qu’on obtient cette pellicule de papier doré infiniment légère. Dans le registre du bois doré, il faut admirer la suite de quatre fauteuils du XIXe siècle italien que présente Philippe Vichot. Accoudoirs sculptés d’hippocampes, dossiers agrémentés de chevaux marins ailés, le décor est exceptionnel. L’ensemble aurait été donné par le roi de Sardaigne à un amiral. D’où l’iconographie aquatique.
De l’or, évidemment, on en trouve chez les marchands de bijoux. Esther de Beaucé niche dans une mini-échoppe au fond d’une cour pittoresque. Elle édite des parures que conçoivent des plasticiens, peintres ou sculpteurs. Le dernier en date, Didier Courbot, auteur d’oeuvres monumentales pour l’espace public, a réalisé avec elle des bracelets manchettes en laiton doré à la ligne architecturée. Preuve que le Carré Rive Gauche continue à attirer de jeunes marchands, Esther de Beaucé, elle aussi, a 40 ans aujourd’hui. Soufflons les bougies.