UNE TRAGIQUE MÉMOIRE
Pour ses douloureuses écorchures, pour sa pudeur, pour la profondeur de ses révoltes et la délicatesse de sa sensibilité, pour son humour, pour la pureté de son écriture, nous avons toujours eu un grand respect de Jean-Claude Grumberg, toujours admiré son oeuvre théâtrale. Votre Maman est une nouvelle étape du chemin de croix que poursuit l’auteur depuis ses débuts dans l’évocation de la mémoire tragique que lui laisse la déportation des Juifs. Cette fois, comme souvent, Grumberg utilise l’allégorie pour célébrer le souvenir qui l’obsède et il prend la mère comme figure symbolique des victimes de ce drame. D’une anecdote à certains égards savoureuse, il tire une leçon grave et universelle relative à la cruauté et à l’absurdité de la condition humaine. Il imagine la relation baroque entre une mère et son fils. Celui-ci rend régulièrement visite à celle-là dans la maison de retraite où elle est hospitalisée. Elle souffre d’une sorte d’alzheimer. Entre eux s’engagent des dialogues de sourds qui provoquent des situations plus ou moins cocasses, jusqu’à ce qu’elles deviennent tragiques, en présence du directeur de l’établissement, représentatif de l’humanité moyenne et de sa médiocrité. La satire, l’humour, la tendresse, l’horreur, le chagrin se mêlent dans ce texte féroce écrit avec cette fausse sécheresse dont l’auteur a le secret et qui rend si efficace son théâtre. Le dénouement de la pièce est poignant, où l’on voit la pauvre femme amnésique reproduire instinctivement le calvaire de sa propre mère, morte en déportation. Le décor ajoute au sentiment d’oppression qu’inspire le drame. Il est fait d’une haute futaie qui souligne l’enfermement dans lequel vit aujourd’hui la malade, comparable à celui où elle vivait lorsqu’elle était prisonnière aux côtés de sa mère.
On ne pouvait mieux confier le rôle de cette femme qu’à Catherine Hiegel. Sa présence physique à elle seule, ce visage si expressif, cette violence qui traduit successivement la force et la détresse, la colère et l’abandon, bref l’humanité que dégage cette belle actrice, sont le miroir exact du personnage qu’a imaginé l’auteur. L’absence au monde qu’elle montre lorsqu’elle apparaît dans son fauteuil de paralytique ou ses sursauts d’énergie dans les moments éphémères où elle recouvre la mémoire sont tout aussi bouleversants. Bruno Putzulu et Philippe Fretun lui donnent une réplique impeccable de vérité, excellemment dirigés par Charles Tordjman. Votre Maman, de Jean-Claude Grumberg. Mise en scène de Charles Tordjman. Avec Catherine Hiegel, Bruno Putzulu, Théâtre de l’Atelier (01.46.06.49.24).
Une leçon sur la condition humaine