Le Figaro Magazine

CAUCHEMAR AUX OSCARS

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Une énorme bombe explose lors de la cérémonie des Oscars, au Dolby Theater. Cortex raconte cette horreur. On tourne les pages avec curiosité, puis fascinatio­n morbide, on a honte de son voyeurisme, et enfin on admire la prouesse littéraire. Cela faisait sept ans qu’Ann Scott avait disparu des radars. Elle revient en force avec ce thriller apocalypti­que où elle assassine (au sens propre) toutes les stars de Hollywood : Meryl Streep est éventrée page 73, Julia Roberts brûlée vive page 80, Al Pacino défiguré page 82, Brad Pitt décapité page 84… La liste complète des stars décédées est fournie aux pages 276, 277, 278 et 279. Je précise, à l’attention de leurs fans, que Jennifer Lawrence et Jessica Chastain s’en sortent, contrairem­ent à Leonardo DiCaprio et George Clooney. La quasitotal­ité des célébrités américaine­s est exterminée. Ce n’est pas un attentat islamiste, pour une fois. Ann Scott a sans doute voulu éviter de plagier Plateforme, de Houellebec­q.

Mme Scott ne publie pas souvent, mais quand elle s’y met, c’est toujours un choc. Cette contempora­ine de Virginie Despentes est angoissée par l’avenir, comme une sorte de punk réac. Elle fit jadis entrer en littératur­e le grunge (Asphyxie, 1996), la culture DJ (Superstars, 2000), avant de devenir un Maurice G. Dantec du sexe opposé (Le Pire des mondes, 2004). Cortex est son roman le plus ambitieux. Il faudrait m’expliquer pourquoi, si on est un romancier français, la paranoïa est fasciste, alors que, si l’on s’appelle James Ellroy, elle est une preuve de génie visionnair­e. La descriptio­n de l’attentat aux Academy Awards est époustoufl­ante : un morceau de bravoure comme on en trouve rarement dans notre PLF (Paysage littéraire français).

Son éditeur, Manuel Carcassonn­e, a fait un étrange pari en publiant ce roman spectacula­ire entre les deux tours de l’élection présidenti­elle, alors qu’il aurait tout à fait mérité sa place à la rentrée de septembre. Ultradocum­enté et hyperréali­ste, Cortex est un film d’action gore qui peut certes se dévorer sur une plage cet été, mais il est aussi un exercice de style, fantasmé et naturalist­e, sensoriel et introspect­if. Les phrases de Mme Scott se sont allongées, elle prend son temps pour décortique­r l’enfer comme un Jérôme Bosch des vanités contempora­ines. Ce roman provocateu­r est la bonne surprise de ce printemps. Il traumatise et fait réfléchir : on préfère les explosions quand elles sont écrites et fictives. On prie seulement pour que ce livre ne soit pas prémonitoi­re.

Cortex, d’Ann Scott, Stock, 312 p., 19,50 €.

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