Les insolences d’Éric Zemmour
Il y a longtemps, François Bayrou avait dit, en refusant le rassemblement de la droite et du centre dans l’UMP : « Quand on pense tous la même chose, c’est qu’on ne pense plus rien. » François Bayrou devrait se souvenir de cette phrase au moment où, devenu ministre de la Justice, il met au point une loi de moralisation très attendue. Tout le monde est d’accord sur sa nécessité après les ultimes rebondissements de la campagne présidentielle qui ont plombé la candidature de François Fillon. Mais si tout le monde pense la même chose, dirait le François Bayrou d’il y a quinze ans, c’est qu’on ne pense plus rien.
On ne pense plus que cette fameuse moralisation est un puits sans fond, une poire à chagrin, selon l’expression du général de Gaulle, comme le prouvent les récentes affaires Ferrand, et même Sarnez, qui éclaboussent les débuts du quinquennat Macron en dépit d’une justice et de médias soudain bien moins vindicatifs.
On ne pense plus surtout à ce que réclament vraiment les Français. Nous ne sommes pas un peuple de quakers mormons ou de puritains scandinaves. Nous ne faisons pas démissionner un ministre pour l’usage intempestif d’une carte Bleue et nous n’exigeons pas d’un chef de l’Etat qu’il pousse son chariot dans la grande surface du coin. Nous n’avons pas fait la Révolution de 1789 pour l’instauration de la morale, mais pour l’abolition des privilèges. Et lorsque certains se sont mis à parler de vertu, l’ambiance révolutionnaire s’est gâtée. D’ailleurs, on retrouve chez certains journalistes dits d’investigation ou de magistrats purificateurs, les relents mal contenus des anciennes diatribes exterminatrices d’un Marat ou d’un Hébert… On connaît la phrase de Chateaubriand : « L’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. » La sentence du vicomte ne vaut pas seulement pour la noblesse à particule. La classe politique est vue comme une aristocratie, tombée depuis belle lurette de l’âge des supériorités pour dégénérer dans l’âge des privilèges, voire celui des pures vanités. Et dans vanité, il y a vain.
Les Français ne réclament pas plus de morale mais plus d’utilité. Plus d’efficacité. Ils exigent la suppression des privilèges des politiques car ils estiment que ceux-ci ne les méritent plus au regard de l’état de la France. Ce n’est pas « Tous pourris », mais « Tous je m’enfoutistes » !
La prétendue soif de moralisation va de pair avec l’appel à la société civile, ou la mort des partis politiques et du clivage droite-gauche : l’appel au secours d’un peuple qui se noie et estime que ses élites politiques – et pas seulement elles – ne tentent même pas de le sauver de la noyade. Qu’elles ne s’intéressent plus à lui. Qu’elles se sont débarrassées de lui pour vivre leur vie d’élites désaffiliées et dénationalisées. C’est la fameuse rébellion des élites analysée naguère par l’Américain Christopher Lasch. Un peuple qui décide alors de noyer ses élites rebelles avec lui. Et tant pis si la justice ressemble à de la vengeance. Et la morale à de la vindicte.
La Révolution de 1789 n’a pas été faite pour l’instauration de la morale, mais pour l’abolition des privilèges