DANS L’ESSONNE, LAURE DARCOS CONTRE CÉDRIC VILLANI DUEL AU CENTRE
La femme d’un académicien affronte un mathématicien médaillé. Opposition de styles dans cette pépinière de chercheurs
C’est le premier meeting. Le premier de sa campagne, le premier de sa vie. Laure Darcos, la candidate LR de la 5e circonscription de l’Essonne, y met du coeur devant les 400 militants venus la soutenir ce soir-là. Car la voilà enfin candidate après avoir choisi de rester dans les coulisses de la vie politique pendant vingt ans – dans les cabinets ministériels de François Bayrou ou de son mari, Xavier Darcos. L’épreuve est rude et l’heure, pour le moment, n’est pas à l’optimisme. Sur ces terres de droite modérée, Emmanuel Macron est sorti au premier tour de la présidentielle 10 points devant François Fillon. La bataille pour la victoire sera incertaine jusqu’à la fin, comme pour nombre de candidats LR.
Pour cette première réunion publique, Laure Darcos a invité un parrain cher à son coeur. « J’adore le sourire de Laure, j’adore son optimisme ! », lance Alain Juppé dans la salle de spectacle des Ulis. Le maire de Bordeaux n’a accepté de sortir de son territoire aquitain que pour soutenir « une amie », l’épouse de Xavier Darcos. Elle en a besoin : elle fait face au mathématicien Cédric Villani. Un candidat surprise, dont le nom a été mis en première ligne médiatique par La République en marche lorsque ont été rendues publiques les 577 investitures.
Le département de l’Essonne aligne pourtant de belles têtes d’affiche, qu’il s’agisse de Manuel Valls dans la 1re circonscription ou Malek Boutih dans la 10e, qui ont été retoqués par La République en marche, ou encore de Nicolas DupontAignan, en difficulté dans la 8e après son aller-retour express chez Marine Le Pen. Dans la 5e circonscription, de centre droit, où la députée PS sortante, Maud Olivier, rêverait d’un deuxième mandat, le face-à-face Darcos-Villani a des airs
de bal des débutantes dans le monde feutré des académies : une bataille au centre dans une circonscription à l’image du nouveau président. D’un côté, la mère de famille accrocheuse, de l’autre, le pur esprit plein de bonne volonté. « Pas de bol, je suis en train de soutenir ta rivale ! » a répondu Valérie Pécresse, la présidente de la Région Ile-de-France, à Cédric Villani qui cherchait à la joindre par SMS pendant qu’elle accompagnait Laure Darcos dans une tournée électorale. Car Cédric Villani est au conseil scientifique de la Région, et s’entendait jusque-là à merveille avec Valérie Pécresse. Il l’avait même consultée pour savoir ce qu’elle pensait de l’offre du gouvernement Valls de prendre le ministère de la Recherche après le départ de Geneviève Fioraso, en 2015. Aujourd’hui, Cédric Villani refuse de croiser le fer avec Laure Darcos. Il joue tout en souplesse la carte du renouvellement par le haut. « Il n’y a pas eu beaucoup de mathématiciens en politique, à part Gaspard Monge, président du Sénat sous l’Empire, et Paul Painlevé, ministre pendant la Grande Guerre », note-t-il sobrement. A lui, espère-t-il de relever le gant.
« Il paraît qu’il faut tout renouveler. Eh bien, Laure Darcos est un visage nouveau en politique, c’est même sa première campagne », lance le maire de Bordeaux. Laure Darcos correspond bien aux critères du renouvellement : à la fois une femme et une quadra. Mais le vent dominant ne souffle pas dans sa direction. « C’est dur, je fais sept heures de porte-àporte tous les jours ou presque depuis des mois, il faut aller chercher chaque voix une à une », constate-t-elle. Face au double effet Macron et Villani, elle explique aux électeurs qui lui ouvrent leur porte qu’un député n’est pas là « pour mettre le monde en équation », mais pour s’intéresser « aux problèmes concrets des gens ». « Tout le reste, c’est baratin et poudre de perlimpinpin ! » répète-t-elle. « Je sais que c’est une campagne difficile et que nos électeurs sont désorientés », commente Juppé qui propose de tenir un cap, finalement assez simple sur le papier : « Ne pas donner un blanc-seing à Emmanuel Macron. »
Tout comme l’ancien Premier ministre, Laure Darcos est de ces députés LR qui défendent la ligne d’une « opposition constructive, mais une opposition quand même ». Alain Juppé ose même cibler « le programme fiscal désastreux pour les classes moyennes » que son ex-fidèle, Edouard Philippe, devra mettre en musique. Il est vrai que la hausse de la CSG touchera de plein fouet les petits salaires, et qu’elle ne sera pas suffisante pour compenser la suppression de la cotisation à l’assurance-maladie sur les salaires, ni bien sûr la suppression de la taxe d’habitation. « J’ai voté Macron au second tour de la présidentielle, mais cela n’a jamais valu adhésion à son programme », continue-t-il. Laure Darcos a soutenu Alain Juppé lors de la primaire. « Si vous aviez gagné, l’histoire de cette présidentielle aurait sans doute été bien différente », lancet-elle. Grande est l’amertume d’une droite qui se voit privée de ce pouvoir qui lui tendait les bras. Plus grande encore →
→ la déception pour la candidate LR de voir l’électorat de droite tenté de « donner sa chance » au nouveau président. Secrètement, Laure Darcos espérait peut-être que La République en marche s’abstiendrait de lui envoyer un candidat. Elle avait le profil d’une marcheuse de droite – largement compatible avec le projet du nouveau président. « Edouard Philippe n’a pas voulu de Cédric Villani au ministère de la Recherche parce qu’il ne le jugeait pas fait pour ce genre de job, alors ils lui ont trouvé une circonscription sur mesure », glisse un proche. Sur mesure, en effet. Cédric Villani y habite depuis son retour en France, en 2009. « En revenant des Etats-Unis où j’avais enseigné à Princeton, je ne voulais plus vivre à Paris ; j’ai cherché un coin plus calme et plus rural et j’ai atterri dans l’Essonne », explique le spécialiste mondial de l’équation de Boltzmann. « J’y vis avec ma compagne et mes deux enfants, j’ai des poules et des oiseaux chez moi, tout est bien », commente le médaillé Fields, toujours vêtu de son complet romantique, façon Alfred de Musset : lavallière bouffante jusqu’au revers de la veste, broche en forme d’araignée, tenue gris sombre et cheveux longs lâchés. Villani est une marque à lui seul. Vulgarisateur toujours souriant et toujours prêt à répondre à la curiosité médiatique. Dès la première semaine de campagne, son bras droit, Thomas Friang, un doctorant en économie de 28 ans passé par le MoDem, a dû « gérer les demandes de CNN, du Washington Post, de la BBC et du Corriere della sera ». Dans sa permanence, on trouve beaucoup de militants du MoDem reconvertis dans La République en marche, mais aussi une ex-électrice de Sarkozy en 2012 : « Le pays est bloqué depuis trente ans à cause du face-à-face droite-gauche, c’est pour ça que j’ai adhéré à la démarche de Macron », nous dit Candice. La 5e circonscription de l’Essonne est un cas d’école de l’hyperinvestissement public qui irrigue des territoires mondialisés, en compétition avec le reste du monde. Elle englobe le plateau de Saclay, la ville plus en difficulté des Ulis et quelques bonnes terres agricoles qui bordent l’Ecole polytechnique et HEC, et sont menacées de disparition par le projet lancé il y a huit ans d’un pôle universitaire censé réunir à terme 20 à 25 % de la recherche scientifique française. Evidemment, Cédric Villani s’y sent comme un poisson dans l’eau. « Il passe de Lyon à Vancouver puis à Oxford. Il n’est jamais là ! » observe son adversaire. « On ne peut pas être un député hors sol », prévient un proche de Valérie Pécresse, qui pointe le profil très inadapté du médaillé Fields au fastidieux travail parlementaire. « Personne ne trouvera scandaleux qu’un type qui n’est pas fait pour être député ne le soit pas », décoche finalement Xavier Darcos.
Villani est conscient de ce point faible. Dans sa permanence, il a fait installer une carte de sa circonscription. En chercheur qu’il est, il a déjà quadrillé méthodiquement les
LA CANDIDATE PRAGMATIQUE S’OPPOSE AU PUR ESPRIT
questions d’aménagement du territoire. Il rappelle aussi qu’il a depuis longtemps réussi sa mue de pur chercheur en animateur d’équipe : « Je dirige l’Institut Henri-Poincaré depuis 2010. » Et il se promène avec un petit calepin sur lequel il consigne scrupuleusement ce que lui disent ses interlocuteurs. Ce samedi, il vient faire un tour aux assises du sport de la ville d’Orsay. Il se faufile entre des enfants qui ont les yeux rivés sur des simulateurs 3D, des ados qui sautent en roller et une compétition de rap. Il s’approche d’un mur où des animateurs aident quelques jeunes à maîtriser le street art. L’un des tagueurs reconnaît Villani : « J’admire ce que vous faites, j’aurais aimé pouvoir faire des maths comme vous », lance-t-il. Comme si la médaille Fields était un passeport pour tout. Y compris la politique. ■