Le Figaro Magazine

DROIT DE CITÉS EN BOURGOGNE !

Avec chacune un équipement culturel d’envergure consacré au vin en chantier, les villes de Dijon et de Beaune ne peuvent plus cacher leur rivalité.

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En Bourgogne, voilà deux ans, Noël est tombé en juillet, le 4, quand l’Unesco a inscrit les climats de cette mythique région viticole au patrimoine mondial. En reconnaiss­ant la valeur universell­e exceptionn­elle de 1 247 parcelles de vignes caractéris­ées par leur sous-sol, leur exposition, leur histoire et « précisémen­t délimitées sur les pentes de la côte de Nuits et de Beaune », l’organisme internatio­nal couronne la démarche initiée en 2006 par Aubert de

Villaine, le cogérant du domaine de la Romanée-Conti (lire notre interview exclusive, p. 130). Dans l’euphorie du succès, François Rebsamen, président (PS) du Grand Dijon, et Alain Suguenot, son homologue (LR) de B eau ne,s’ auto congratule­nt dans un communiqué commun, saluant « la collaborat­ion main dans la main des deux villes (…) depuis la conception du projet. » Une union sacrée pourtant compromise par la décision des deux municipali­tés d’accueillir chacune un équipement culturel d’envergure consacré au vin.

Déjà choisie pour rejoindre le réseau des cités de la gastronomi­e, en 2013, Dijon s’est érigée en « pôle de référence pour la culture de la vigne et du vin ». Ce qui ne manque pas d’agacer du côté de Beaune, où l’entourage du maire raille l’absence de vignes dans la capitale de la moutarde. A tort : le classement des climats, dont l’Unesco précise qu’ils se situent « au sud de Dijon », constitue une aubaine pour François Rebsamen, tout affairé à ressuscite­r le passé viticole d’une ville dont le vignoble jadis opulent avait effectivem­ent disparu. « Lorsque j’ai été élu maire, en 2001, je n’imaginais pas devenir viticulteu­r… », s’amuse l’ancien ministre du Travail de Manuel Valls. Qui ne conteste pas que pour accompagne­r cette renaissanc­e – une dizaine d’hectares seraient en production -, accoler le mot « vin » à ceux de « cité internatio­nale de la gastronomi­e » donne du crédit à la démarche.

En attendant que l’Inao reconnaiss­e l’appellatio­n « côte-dedijon » - ce qui pourrait s’étaler sur une bonne décennie – la structure va prendre ses quartiers dans l’ancien hôpital général de la cité ducale (ouverture prévue en septembre 2019), dans le cadre de l’aménagemen­t d’un vaste écoquartie­r. Un site trop excentré, regrettent certains, mais qui ne manque pas d’adresser un clin d’oeil à Beaune et ses flamboyant­s hospices du XVe siècle. Quand Dijon joue la carte « internatio­nale », sa concurrent­e et voisine, elle, prend bien soin d’insister sur le caractère régional de sa future cité. Alain Suguenot aime rappeler qu’il est le premier magistrat de la capitale de la Bourgogne vinicole. Et que l’équipement qui va voir le jour juste à la sortie de l’autoroute (ouverture début 2020) sera exclusivem­ent consacré aux vins de la région, quand celui de Dijon s’intéresse à l’oenologie en général, depuis les origines et à travers la planète, comme la Cité du vin de Bordeaux. En moins ambitieux, toutefois, car la destinatio­n première de l’établissem­ent dijonnais restera la gastronomi­e.

Alain Suguenot insiste aussi sur la dimension écologique affirmée du projet : coulée verte en bordure de la Bouzaise, services de mobilité à faible émission de CO2… Au coeur de cet écrin de verdure, le Centre d’interpréta­tion des climats prendra la forme d’une tour de 22 mètres. « A cette hauteur, les visiteurs auront une vue spectacula­ire sur notre vignoble », s’enthousias­me le député-maire, qui souhaite une « architectu­re résolument contempora­ine, véritable Hôtel-Dieu du XXIesiècle », relié au monument emblématiq­ue par des « voies douces ». A son côté, la halle Rabelais, nef moderne, pourra accueillir jusqu’ à 1200 personnes pour célébrer l’ art de festoyer typiquemen­t bourguigno­n. Au fil du parcours (payant), la découverte des fondamenta­ux des vins de Bourgogne – cépages, techniques de vinificati­on – fera appel aux cinq sens.

Un hôtel 5 étoiles et des partenaria­ts privés complètent l’affiche prestigieu­se. Trop peut-être ? C’était en tout cas l’avis de Jean-Michel Aubinel, président de la Confédérat­ion des appellatio­ns et des vignerons de Bourgogne (CAVB), l’une des deux composante­s, avec les maisons de négoce, du Bureau interprofe­ssionnel du vignoble bourguigno­n(BIVB ), principal financier public de l’opération : « Le projet initial apparaissa­it encore plus luxueux. Or nos vins souffrent déjà d’une image rare et chère. Le souhait de l’ inter profession était au contraire de profiter du classement pour démythifie­r les vins de Bourgogne. Nous avons été entendus sur de nombreux points par la mairie de Beaune. » Et pour dépasser les limites géographiq­ues du classement – seuls les climats de la Côte-d’Or sont concernés - le BIVB a obtenu l’ouverture simultanée de deux « cités filles de Beaune » : à Chablis (Yonne) et à Mâcon (Saône-et-Loire). Et de quatre ! Pas de doute, la Bourgogne a droit de cités ! ■ PHILIPPE BIDALON

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Future Cité des vins de Beaune, dédiée à de grands événements, mais aussi aux banquets et exposition­s temporaire­s.

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