Le Figaro Magazine

L’ARCHITECTE DU NATUREL

La fille d’Anne-Claude Leflaive, une des viticultri­ces les plus célèbres de Bourgogne, tient de sa mère aujourd’hui disparue la passion du vivant. Cette dernière la mettait en pratique dans son domaine familial grâce à la biodynamie. Marine Jacques-Leflai

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Marine Jacques-Leflaive est une architecte désormais très demandée, difficile à joindre entre deux chantiers. « J’ai une heure à vous consacrer dans vingt jours, si cela vous convient », prévient-elle. Bien sûr que cela nous va. D’abord sur la réserve, cette jeune femme devient rapidement prolixe lorsqu’il s’agit d’expliquer son travail, un sacerdoce si l’on en croit la passion qui l’anime.

Cette fille de viticultri­ce ne se voyait pas travailler dans la vigne et, lorsqu’elle suivait sa mère dans la cave, elle était plus intéressée par la fonctionna­lité du bâtiment que par ce qu’on y produisait. « Ma mère n’a pas cherché à contrarier ma destinée. Elle était contente que je fasse autre chose qu’elle. » De cette ascendance elle a hérité toutefois une obsession pour le respect de la nature, de l’environnem­ent et des hommes. « Anne-Claude, ma mère, était obsédée par le bien-être des autres. Cette idée m’a énormément inspirée. » Son diplôme d’architecte en poche, elle n’a qu’une idée : intégrer une agence spécialisé­e en architectu­re durable. Avec son compagnon, elle part à Londres toquer à la porte de Zed Factory, la référence mondiale en la matière, qui l’embauche. Elle y passera quatre ans, jusqu’à ce que la crise financière de 2009 mette fin à l’aventure. Sans un sou en poche, les voici de retour au bercail, en Bourgogne. Le couple fonde en 2009 l’Atelier Zéro Carbone à Nuits-Saint-Georges, où les commandes commencent à arriver. Projets de rénovation de bâtiments, création d’une maison « bioclimati­que, passive et autonome » à Puligny-Montrachet… Rien qui ne la relie, toutefois, au monde viticole, jusqu’au jour où arrive une commande d’un genre particulie­r : créer pour le domaine Leflaive une cave autonome en énergie. « C’était un projet délicat, car ce n’était pas Anne-Claude qui était chargée de son suivi, mais le régisseur. Le contexte était un peu inconforta­ble pour nous. Nous étions attendus au tournant, avec les cinquante associés du domaine qui nous regardaien­t avec un air parfois suspicieux.

Pour autant, le projet était très excitant. Construire une cave est particuliè­rement exigeant, car elle abrite du vin, un produit vivant qui peut coûter très cher. Les enjeux sont donc énormes. » Ce bâtiment doit obéir à trois contrainte­s particuliè­res : pas de chimie, pas d’énergie et pas de colle. « Se passer de la chimie, c’est notre spécialité. Nous ne travaillon­s qu’avec des produits naturels comme le bois, la paille, la terre, la pierre, etc. Avec ces matériaux, on arrive facilement à se passer d’énergie extérieure. Par exemple, la menuiserie évacue le CO2 dégagé par la fermentati­on. Et l’isolation assure un air à environ 10 °C toute l’année. » Marine Jacques-Leflaive pratique ainsi une architectu­re « écodynamiq­ue », un terme qu’elle a créé en hommage à sa mère et à ses pratiques biodynamiq­ues. « Il était aussi important d’éviter toute forme de colle. Ces produits peuvent relarguer dans le chai des produits dangereux pour le vin, qui donnent des goûts de bouchon. D’ailleurs, aucun matériau que nous utilisons n’est traité. Ils sont tous testés en laboratoir­e. » C’est dans la forme de la cave que Marine Jacques-Leflaive a retrouvé toute sa liberté. Les vins en cours d’élevage sont depuis 2013 placés au centre d’un oeuf et couvés par le cosmos…

Le savoir-faire de Marine Jacques-Leflaive et son Atelier va vite attirer l’attention du petit monde viticole. « Lorsque Jean-Louis Trapet et son épouse ont acheté une bâtisse dans Gevrey-Chambertin (Domaine Jean-Louis Trapet, lui aussi en biodynamie, ndlr), ils ont fait appel à notre Atelier pour la transforme­r en table et chambre d’hôtes pour les clients de la propriété. Ils avaient été enthousias­més par notre “cave de l’oeuf”. » Elle poursuit ensuite son oeuvre en réalisant pour Anne Gros (à Vosne-Romanée) une salle de stockage et de dégustatio­n en bois et en terre, ou encore une cuverie pour le domaine de Jean-Charles Abbatucci en Corse, également en biodynamie. Et, dans ses cartons, d’autres projets sont en cours de démarrage : une nouvelle cuverie pour le domaine Decelle-Villa à Nuits-Saint-Georges, une interventi­on sur le domaine alsacien d’Andrée Trapet… A peine sept ans après la création de l’Atelier, Marine Jacques-Leflaive s’étonne encore de la rapidité avec laquelle les différents projets se sont enchaînés. En quelques années, le petit cabinet d’architecte de deux personnes est passé à huit collaborat­eurs. Il est devenu une agence incontourn­able dans le monde des vignerons soucieux du respect de l’environnem­ent. « Mon rêve serait désormais de réaliser un projet de cave à l’Etranger. » Avis aux amateurs. ■ FRÉDÉRIC DURAND-BAZIN

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