LES POLICIERS SE PRÉPARENT AUX COMBATS DE RUE
Contre les ultraviolents de l’extrême gauche qui s’organisent afin de s’opposer aux réformes sociales annoncées, les forces de l’ordre attendent des pouvoirs publics qu’ils les munissent d’outils efficaces et leur délivrent des consignes claires.
La grogne sociale dans les semaines qui viennent, les forces de l’ordre la redoutent plus que tout et elles le disent. « Il n’y a plus de pause. Avant, il y avait le 14 Juillet et le Tour de France, et puis tout se calmait jusqu’à septembre. Aujourd’hui, c’est terminé. Il va falloir gérer en même temps les mouvements de rue contre les réformes du président Macron, les illuminés de NotreDame-des-Landes, la lutte contre le terrorisme qui ne faiblit jamais et la pression migratoire à Calais qui pourrait redevenir une poudrière. Evidemment que les policiers sont inquiets ! », s’exclame Philippe Capon, le secrétaire général de l’Unsa Police.
« En tant que patron d’une unité des forces mobiles, j’espère vivement que le ministre de l’Intérieur va faire preuve de fermeté », renchérit un commandant de CRS. Selon ce policier aguerri, « les hommes sur le terrain sont épuisés par l’accumulation des missions et il ne faudrait pas, la fatigue aidant, que les réflexes s’émoussent, au risque de commettre des erreurs dans les actions de maintien de l’ordre ».
Déjà, en toute discrétion, la Place Beauvau anticipe sur les inévitables troubles à venir. « Le ministre voit certainement se profiler les difficultés pour l’été et la rentrée car, au cours des dernières semaines, l’Administration a mis un certain nombre d’unités au repos. C’est le signe qu’il pourrait bientôt y avoir du grabuge », assure un commissaire de police parisien. Le ministère peut compter, tous corps confondus, sur une bonne quinzaine de milliers de membres des forces mobiles pour affronter les prochains événements. En ôtant la trentaine d’escadrons en mission dans les DOM ou sur les théâtres extérieurs, la gendarmerie doit pouvoir s’appuyer sur 70escadrons environ, soit plus de 5 000 hommes réellement opérationnels.
La police, quant à elle, disposera de 45 unités de CRS, soit un peu plus de 3 000 hommes, auxquels il faut ajouter les quelque 500 fonctionnaires mobilisables à l’instant T pour ce type de mission à la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police de Paris. Il y a aussi dans chaque département une compagnie départementale d’intervention (CDI), équivalent d’une CRS rattachée à la sécurité publique. Soit 8 000 policiers casqués-bottés supplémentaires, à raison de 80 effectifs environ par unité. « Ce n’est pas tant le nombre que la stratégie qui pose problème », assure Philippe Capon. Les syndicalistes sont d’ailleurs montés récemment au créneau pour expliquer au nouvel hôte de Beauvau qu’il ne fallait pas, selon eux, recommencer les erreurs de 2015 et 2016. A croire que les années Cazeneuve n’ont pas laissé aux troupes un souvenir aussi idyllique que cela a pu se dire et s’écrire lorsque ce ministre a quitté ses fonctions en mai dernier…
« Il y a trop d’atermoiements
dans les décisions, trop d’imprécisions dans les directives et manifestement une impréparation juridique qui a privé les unités de terrain de sécurité à tout point de vue dans leurs interventions », estime sèchement un préfet très au fait de ces problématiques de maintien de l’ordre. Le Conseil constitutionnel, en tout cas, vient de priver les préfets d’une arme légale visiblement obsolète ou mal employée. Le 9 juin dernier, les sages ont en effet censuré la disposition de l’état d’urgence utilisée en 2016 pour empêcher des centaines de personnes de manifester contre la loi travail. Un sérieux revers pour la préfecture de police de Paris. Les policiers sont pourtant encore traumatisés par les dérapages dont ils ont pu être victimes. « L’affaire de Rennes a laissé des traces », considère le patron de l’Unsa Police. Lors d’une manifestation « Ni Le Pen ni Macron » le 27 avril dernier, un motard de la police a dû sortir son arme pour ne pas être lynché par des ultras de la gauche révolutionnaire. Il a cru mourir. Ses agresseurs, identifiés, ont été jugés le 21 juin. Quatre des cinq prévenus ont été condamnés à des peines de 9 mois à 12 mois de prison ferme… aussitôt aménagées sous le régime de la surveillance sous bracelet électronique.
« Un policier a aussi failli être brûlé dans sa voiture près de la
place de la République à Paris en mai 2016, six autres ont été blessés pendant les dernières manifestations du 1er mai, dont deux grièvement. Chacun se souvient duCRSenflammes,cejour-là.La photo a fait le tour du monde ! »,
s’indigne-t-on au Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).
« Depuis une note de service de 2015 produite par la direction centrale des CRS, nous ne savons toujours pas si l’interdiction d’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD) par les forces mobiles est toujours en vigueur. Ce serait bien d’éclaircir ce point avant les prochains heurts »,
conseille un représentant du syndicat Alliance Police nationale (majoritaire chez les gradés et gardiens). Le patron du syndicat Synergie-Officiers, Patrice Ribeiro, se prend à espérer :
« Nous comptons beaucoup,
dit-il, sur la prochaine loi antiterroriste préparée par le ministre de l’Intérieur pour nous aider, grâce notamment aux dispositions à venir sur l’assignation à résidence et à l’interdiction de paraître. »
Selon lui, le cas des casseurs et autres adeptes de la violence durant les manifestations à caractère politique
« entre dans le cadre de la terminologie d’une loi antiterroriste car, ce qui est en cause, c’est bien la montée des radicalités ». Le mouvement identitaire d’extrême droite ou les groupes d’extrême gauche seraient donc tout autant concernés que les islamistes radicaux.
Pour le commandant Ribeiro
: « L’important est de se donner les moyens d’éviter les débordements que nous avons connus ces dernières années. Il faut, à tout prix, ne plus laisser les ultraviolents venir au contact des policiers républicains qui assurent la sécurité de tous lors des manifestations. » Pour cela, selon lui, il faut des outils juridiques solides et une ferme volonté de ceux qui commandent. La tranquillité publique passe manifestement, à ses yeux, par un changement dans la doctrine d’emploi des unités des forces mobiles. En clair : elles doivent pouvoir maintenir à distance les manifestants les plus violents, en amont par une action préventive contre les récidivistes notoires, et en aval par l’usage des canons à eau et des armes non létales, si le besoin s’en fait sentir. Les arrestations devraient également être plus souvent suivies, selon les policiers, par des condamnations dissuasives.
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