Le moustique : ennemi mondial numéro un
Les moustiques comptent parmi les pires trublions de nos étés, « affairés comme des entrepreneurs de pompes funèbres, rusés comme des prêteurs sur gages, inévitables et sûrs d’eux comme des politiciens », ainsi que les décrivait William Faulkner. Porteurs
Avec l’été, les moustiques s’apprêtent à voyager autant que nous, mais par milliards. Et, s’ils ne viennent pas à nous, c’est nous qui irons à eux, la plupart du temps sans conscience du danger : paniqués par la progression du virus Zika sur leur continent, les Américains du Nord ont été ainsi stupéfaits d’apprendre en 2016 qu’ils étaient de toute façon 40 millions – dont probablement 500 000 femmes enceintes – à se rendre chaque année dans l’un des pays où sévit cette maladie capable de paralyser les adultes et de handicaper lourdement les enfants à naître.
Mais la planétarisation de ce redoutable prédateur (750 000 morts par an, contre 10 pour les requins !) ne découle pas que du tourisme et des voyages d’affaires, même si elle a débuté, comme eux, avec l’époque moderne. Confinées pendant 250 millions d’années en Afrique et en Asie, certaines espèces de moustiques africains n’ont débarqué en Amérique qu’avec les premiers bateaux d’esclaves, tandis que d’autres, asiatiques, n’ont commencé à étendre leur territoire que tout récemment, avec la multiplication des échanges commerciaux. Parti de ses bambouseraies natales de la Chine du Sud, du Cambodge et du Vietnam, Aedes albopictus, le fameux moustique tigre, ne serait par exemple arrivé en Europe qu’en 1979, sans doute via l’Albanie, peut-être dans une cargaison de vieux pneus. Pour les Etats-Unis, son arrivée fut encore plus tardive – 1985 – mais il ne lui fallut ensuite qu’un an pour coloniser l’Amérique centrale puis le Brésil et l’Argentine.
« Contre ce genre d’invasion, que peuvent les soldats, les douaniers, les hauts grillages, les murs en béton, les frontières nationales ? » interroge à juste titre Erik Orsenna dans son ouvrage Géopolitique du moustique, coécrit avec le Dr Isabelle de Saint-Aubin * : « Rien de tel que des insectes minuscules pour mondialiser les maladies de notre planète. »
De nos jours, ces seringues volantes, bourrées de virus et de parasites, sont présentes sur tous les continents (à l’exception de l’Antarctique, mais elles pullulent dans des contrées aussi froides que le Groenland ou l’Alaska) et la progression des espèces les plus contaminantes pour l’homme s’effectue avec une rapidité qui affole les services de santé. En août 2012, la ville de Dallas, au Texas, avait dû décréter l’état d’urgence contre le moustique Culex et le virus du Nil occidental qu’il propage : 50 cas par semaine et 19 morts en un an. En cause, la crise immobilière et ses nurseries à larves : eau croupie au fond des piscines abandonnées, plantes en pot pourrissantes autour des propriétés saisies, dépôts sauvages d’ordures. Un paradis pour ces insectes à qui un bouchon de bouteille en plastique mouillé de quelques gouttes de pluie suffit pour pondre… →
→ jusqu’à 70 oeufs tous les trois ou quatre jours pour la femelle du moustique tigre.
Face à une telle menace on peut, bien sûr, essayer de se protéger – avec une moustiquaire imprégnée d’insecticide autour de son lit, un grille-insectes diffuseur de CO² dans son logement et des vêtements vaporisés de répulsif pour les sorties en extérieur : les trois seules méthodes efficaces – mais sans garantie absolue de ne pas être piqué. D’autant que les différentes espèces de moustiques ne nous laissent aucun répit : les anophèles nous vampirisent la nuit, la plupart des Aedes piquent plutôt au petit matin et aux alentours de 17 heures, tandis que le moustique tigre préfère l’aube et le crépuscule. Avec une sale manie en prime : tous adorent la proximité des humains et le confort de leurs habitations ; chaleur plastifiée des appareils électriques, douceur des couvertures et des oreillers, obscurité des placards, humidité des salles de bains, effluves de sueur dégagés par le linge sale. En Ouganda, dans une région particulièrement infestée, une seule maison peut contenir 10 000 moustiques !
Quant au réchauffement climatique, il n’arrange évidemment rien. D’origine tropicale, la majorité des 3 574 espèces de moustiques répertoriées vivent d’autant plus longtemps que la température est élevée : 29 jours en moyenne à 25 °C, 32 jours à 30 °C. Favorisée par des hivers sans gel et des printemps très pluvieux, la saison des piqûres s’est allongée de cinq jours par an depuis 1980 dans 125 grandes villes américaines, et d’un mois dans 10 autres grandes villes. Au sud de la côte Ouest, en Alabama, en Louisiane et dans le sud-ouest du Texas, elle dure désormais 190 jours par an. Conclusion du Dr Robert Haley, directeur du centre épidémiologique de Dallas : c’est bien le réchauffement climatique – accompagné de phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations ou les cyclones qui dispersent les oeufs sur
de grandes distances et multiplient les possibilités d’habitat – qui favorise l’émergence ou la recrudescence des maladies transmises par les moustiques. L’épidémie de virus du Nil occidental, le retour de la dengue en Floride en 2009 après soixante-trois ans d’absence ou le déferlement attendu du virus Zika sur l’Amérique du Nord : cas n° 1 en janvier 2016 à Houston, 5 200 personnes contaminées à ce jour.
On ne s’étonnera donc pas que l’ancien vice-président américain Al Gore, reconverti dans la dénonciation des dangers du réchauffement climatique, ait récemment changé les illustrations des conférences qu’il donne sur le sujet. Fini les photos d’ours polaires affamés et les vidéos de gigantesques fragments de banquise s’effondrant dans un tsunami de flots gris. Derrière lui, désormais, on ne voit plus que des clichés en très gros plan de moustiques et de tiques !
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