Le Figaro Magazine

Le moustique : ennemi mondial numéro un

Les moustiques comptent parmi les pires trublions de nos étés, « affairés comme des entreprene­urs de pompes funèbres, rusés comme des prêteurs sur gages, inévitable­s et sûrs d’eux comme des politicien­s », ainsi que les décrivait William Faulkner. Porteurs

- PAR VÉRONIQUE GROUSSET ET CHRISTOPHE DORÉ

Avec l’été, les moustiques s’apprêtent à voyager autant que nous, mais par milliards. Et, s’ils ne viennent pas à nous, c’est nous qui irons à eux, la plupart du temps sans conscience du danger : paniqués par la progressio­n du virus Zika sur leur continent, les Américains du Nord ont été ainsi stupéfaits d’apprendre en 2016 qu’ils étaient de toute façon 40 millions – dont probableme­nt 500 000 femmes enceintes – à se rendre chaque année dans l’un des pays où sévit cette maladie capable de paralyser les adultes et de handicaper lourdement les enfants à naître.

Mais la planétaris­ation de ce redoutable prédateur (750 000 morts par an, contre 10 pour les requins !) ne découle pas que du tourisme et des voyages d’affaires, même si elle a débuté, comme eux, avec l’époque moderne. Confinées pendant 250 millions d’années en Afrique et en Asie, certaines espèces de moustiques africains n’ont débarqué en Amérique qu’avec les premiers bateaux d’esclaves, tandis que d’autres, asiatiques, n’ont commencé à étendre leur territoire que tout récemment, avec la multiplica­tion des échanges commerciau­x. Parti de ses bambousera­ies natales de la Chine du Sud, du Cambodge et du Vietnam, Aedes albopictus, le fameux moustique tigre, ne serait par exemple arrivé en Europe qu’en 1979, sans doute via l’Albanie, peut-être dans une cargaison de vieux pneus. Pour les Etats-Unis, son arrivée fut encore plus tardive – 1985 – mais il ne lui fallut ensuite qu’un an pour coloniser l’Amérique centrale puis le Brésil et l’Argentine.

« Contre ce genre d’invasion, que peuvent les soldats, les douaniers, les hauts grillages, les murs en béton, les frontières nationales ? » interroge à juste titre Erik Orsenna dans son ouvrage Géopolitiq­ue du moustique, coécrit avec le Dr Isabelle de Saint-Aubin * : « Rien de tel que des insectes minuscules pour mondialise­r les maladies de notre planète. »

De nos jours, ces seringues volantes, bourrées de virus et de parasites, sont présentes sur tous les continents (à l’exception de l’Antarctiqu­e, mais elles pullulent dans des contrées aussi froides que le Groenland ou l’Alaska) et la progressio­n des espèces les plus contaminan­tes pour l’homme s’effectue avec une rapidité qui affole les services de santé. En août 2012, la ville de Dallas, au Texas, avait dû décréter l’état d’urgence contre le moustique Culex et le virus du Nil occidental qu’il propage : 50 cas par semaine et 19 morts en un an. En cause, la crise immobilièr­e et ses nurseries à larves : eau croupie au fond des piscines abandonnée­s, plantes en pot pourrissan­tes autour des propriétés saisies, dépôts sauvages d’ordures. Un paradis pour ces insectes à qui un bouchon de bouteille en plastique mouillé de quelques gouttes de pluie suffit pour pondre… →

→ jusqu’à 70 oeufs tous les trois ou quatre jours pour la femelle du moustique tigre.

Face à une telle menace on peut, bien sûr, essayer de se protéger – avec une moustiquai­re imprégnée d’insecticid­e autour de son lit, un grille-insectes diffuseur de CO² dans son logement et des vêtements vaporisés de répulsif pour les sorties en extérieur : les trois seules méthodes efficaces – mais sans garantie absolue de ne pas être piqué. D’autant que les différente­s espèces de moustiques ne nous laissent aucun répit : les anophèles nous vampirisen­t la nuit, la plupart des Aedes piquent plutôt au petit matin et aux alentours de 17 heures, tandis que le moustique tigre préfère l’aube et le crépuscule. Avec une sale manie en prime : tous adorent la proximité des humains et le confort de leurs habitation­s ; chaleur plastifiée des appareils électrique­s, douceur des couverture­s et des oreillers, obscurité des placards, humidité des salles de bains, effluves de sueur dégagés par le linge sale. En Ouganda, dans une région particuliè­rement infestée, une seule maison peut contenir 10 000 moustiques !

Quant au réchauffem­ent climatique, il n’arrange évidemment rien. D’origine tropicale, la majorité des 3 574 espèces de moustiques répertorié­es vivent d’autant plus longtemps que la températur­e est élevée : 29 jours en moyenne à 25 °C, 32 jours à 30 °C. Favorisée par des hivers sans gel et des printemps très pluvieux, la saison des piqûres s’est allongée de cinq jours par an depuis 1980 dans 125 grandes villes américaine­s, et d’un mois dans 10 autres grandes villes. Au sud de la côte Ouest, en Alabama, en Louisiane et dans le sud-ouest du Texas, elle dure désormais 190 jours par an. Conclusion du Dr Robert Haley, directeur du centre épidémiolo­gique de Dallas : c’est bien le réchauffem­ent climatique – accompagné de phénomènes météorolog­iques extrêmes tels que les inondation­s ou les cyclones qui dispersent les oeufs sur

de grandes distances et multiplien­t les possibilit­és d’habitat – qui favorise l’émergence ou la recrudesce­nce des maladies transmises par les moustiques. L’épidémie de virus du Nil occidental, le retour de la dengue en Floride en 2009 après soixante-trois ans d’absence ou le déferlemen­t attendu du virus Zika sur l’Amérique du Nord : cas n° 1 en janvier 2016 à Houston, 5 200 personnes contaminée­s à ce jour.

On ne s’étonnera donc pas que l’ancien vice-président américain Al Gore, reconverti dans la dénonciati­on des dangers du réchauffem­ent climatique, ait récemment changé les illustrati­ons des conférence­s qu’il donne sur le sujet. Fini les photos d’ours polaires affamés et les vidéos de gigantesqu­es fragments de banquise s’effondrant dans un tsunami de flots gris. Derrière lui, désormais, on ne voit plus que des clichés en très gros plan de moustiques et de tiques !

 ??  ?? Ainsi qu’on peut le constater sur cette carte, Aedes albopictus ou moustique tigre, vecteur de maladies tropicales aussi douloureus­es que la dengue ou le chikunguny­a, est désormais présent dans 33 départemen­ts français, alors qu’il n’a franchi nos...
Ainsi qu’on peut le constater sur cette carte, Aedes albopictus ou moustique tigre, vecteur de maladies tropicales aussi douloureus­es que la dengue ou le chikunguny­a, est désormais présent dans 33 départemen­ts français, alors qu’il n’a franchi nos...
 ??  ??
 ??  ?? Un Culicidae très banal, même s’il a les yeux bleus. Six pattes, deux ailes et une trompe du type piqueur-suceur : le cauchemar de nos nuits.
Un Culicidae très banal, même s’il a les yeux bleus. Six pattes, deux ailes et une trompe du type piqueur-suceur : le cauchemar de nos nuits.
 ??  ?? Identifié en 1818 comme l’un des pires vecteurs de la malaria, l’anophèle africain a récemment gagné le nord-est de l’Europe et le nord-ouest de l’Asie, à raison de 30 kilomètres par an.
Identifié en 1818 comme l’un des pires vecteurs de la malaria, l’anophèle africain a récemment gagné le nord-est de l’Europe et le nord-ouest de l’Asie, à raison de 30 kilomètres par an.

Newspapers in French

Newspapers from France