Expo : Renoir sous une lumière nouvelle
Le musée d’Art moderne de Troyes organise, jusqu’au 17 septembre, une rétrospective originale et passionnante dédiée au grand maître. Visite guidée.
L’objectif était ambitieux. En s’engageant à présenter « Un autre Renoir », les organisateurs avaient fait le choix de la difficulté. Dès la première salle du musée d’Art moderne de Troyes, on constate que le défi est relevé. La qualité et l’originalité des trésors réunis séduisent.
Il suffit d’abord d’admirer cet autoportrait de 1879 où le maître apparaît bien jeune. Loin des habituelles représentations de lui où il en « impose » avec sa barbe blanche. Le ton est donné. Au total, ce sont une cinquantaine de merveilles issues de collections publiques (dont celles des musées d’Orsay et de l’Orangerie) qui ont été rassemblées ici en un temps record. « Nous n’avons bénéficié que d’un an et demi pour concrétiser le projet, ce qui est un laps de temps très court », souli- gne la conservatrice Daphné Castano, qui a fait équipe avec le commissaire scientifique Paul Perrin. Une excellente initiative qui accompagne la réouverture au public de la maison d’Essoyes (commune située à une cinquantaine de kilomètres au sud de Troyes) où Pierre-Auguste Renoir a passé de nombreux étés. Encore une face méconnue du père des Jeunes filles au piano, dont le repaire de Cagnes-sur-Mer est resté plus célèbre dans la mémoire collective !
Grâce aux nombreuses créations que ses amis lui avaient dédiées, l’univers du peintre est parfaitement restitué. Parmi elles : cet émouvant tableau d’Albert André mettant en scène Renoir en train de peindre en famille, ce portrait de Louis Valtat ou ce bronze d’Aristide Maillol. Non loin de là, un écran diffuse un extrait de Ceux de chez nous où Sacha Guitry avait immortalisé en 1915 le natif de Limoges. Un document exceptionnel, puisque ce sont les seules images filmées du peintre. Au seuil de la porte menant à la pièce suivante, un visiteur s’étonne de découvrir une impressionnante série de natures mortes. Oui, il s’agit bien de toiles de Renoir, qui n’a jamais tiré un trait sur un certain classicisme ! « Il est souvent réduit à sa période impressionniste alors que sa carrière s’étale sur soixante années », indique Daphné Castano. Des bouquets d’une grande beauté rappellent qu’il n’était pas seulement un portraitiste de génie. « La rose était sa fleur préférée et le rouge, sa couleur favorite », est-il précisé.
Cette superbe exposition comble d’autant plus les visiteurs que cet amoureux de la région n’avait pas été honoré sur ses terres depuis bien longtemps. « En 1969, Troyes avait déjà accueilli l’exposition “Renoir et ses amis” au musée des Beaux-Arts, note François Baroin, sénateur-maire de la ville. Près d’un demi-siècle plus tard, c’est au coeur de l’ancien palais
épiscopal que le public a la chance de le découvrir. » Durant la visite, un détail intrigue. N’aperçoit-on pas des esquisses glissées sur des tableaux sans rapport apparent avec le sujet principal ? « Il adorait envahir ses coins de toile », confirme Daphné Castano. D’où la présence de nombreux petits formats sur le marché, certains propriétaires ayant tenu à séparer ces ébauches d’un ensemble. Cette pratique du maître met en lumière sa passion immodérée pour son art. « Il ne se souvenait pas d’un jour où il n’avait pas peint », précise Daphné Castano. Pour preuve, l’exposition fait la part belle à des études peu connues, à des sanguines rarement vues où à des sculptures presque aussi majestueuses que ses toiles. Difficile de prendre au sérieux certains critiques d’autrefois qui prétendaient… qu’il ne savait pas dessiner ! Dans les espaces consacrés à Essoyes, on tombe vite en admiration devant les portraits de deux femmes. La première était sa femme Aline Charigot, qui était originaire du village et lui a donné envie d’y acquérir une maison, en 1896. Modèle, femme ou mère, elle fut une source permanente d’inspiration. Sa « rivale » ? Gabrielle Renard, connue pour avoir été la nourrice du fils de l’artiste (le futur cinéaste Jean Renoir), avec qui elle prenait volontiers la pose. Bien d’autres splendeurs se dévoilent, comme cette Laveuse illustrant à merveille son goût pour les femmes délicatement à l’ouvrage. Des modèles qu’il reproduisait d’une manière douce et sensuelle dans cette Champagne qu’il chérissait tant. Rien n’est laissé au hasard au cours de l’exposition. Les couleurs du décor s’éclaircissent au fur et à mesure, histoire de rester fidèle aux tons utilisés par le grand homme au fil des époques. A quelques pas, un élégant portrait de Mallarmé attire le regard. Un avis que ne partageait pas le poète. « Il trouvait qu’il l’avait embourgeoisé », sourit Delphine Castano. Plus loin, un autre artiste plus inattendu entre en scène : Picasso. La raison ? Il était un immense admirateur et collectionneur de son glorieux aîné. Avec l’autorisation du musée Picasso de Paris, les organisateurs ont pu réunir six des sept oeuvres ayant appartenu au peintre espagnol et figurant parmi les plus belles réalisations de la dernière période de sa vie. Un magnifique bouquet final.
PIERRE DE BOISHUE « Un autre Renoir », musée d’Art moderne de Troyes, jusqu’au 17 septembre.