De notre correspondant aux Etats-Unis
De « [s] es deux Steve », comme les appelle affectueusement Donald Trump, le plus influent n’est peut-être pas celui que l’on croit. Steve Bannon, le conseiller stratégique, a traversé une mauvaise passe en avril, recadré par le Président pour s’être imaginé faisant la pluie et le beau temps à la Maison-Blanche. Stephen Miller, lui, paraît à l’abri de ce type de malentendu. « Steve est un vrai croyant : non seulement, il croit au message, au populisme économique, mais il croit au Président lui-même en tant que chef, dit son ex-collègue de la campagne et homonyme Jason Miller. Sa loyauté est sans limites, il comprend mieux que quiconque la vision de Trump. »
A 31 ans, Miller est au coeur du pouvoir, conseiller politique du Président. Il écrit la plupart de ses discours et a notamment signé celui de son investiture, le 20 janvier, sur « le carnage américain ». Il a aussi rédigé le décret suspendant l’entrée aux Etats-Unis des ressortissants de six pays à majorité musulmane, qui vient d’entrer en vigueur. En pleine polémique, il a défendu son texte seul devant les caméras, affirmant avec aplomb : « Les juges ont accaparé beaucoup trop de pouvoir et se comportent comme la branche suprême du gouvernement. Nos adversaires, les médias et le monde entier vont bientôt découvrir que les pouvoirs du Président pour protéger le pays sont très importants et ne peuvent être contestés. » Le New York Times a trouvé à Miller une « assurance de paon ». « Bon boulot », a applaudi Trump.
Etre montré du doigt ne dérange pas ce jeune homme sec au débit rapide, déjà affecté d’une calvitie naissante, reconnaissable à ses costumes cintrés et ses cravates fines. Il doit son ascension météorique à des convictions forgées très tôt dans l’adversité et la solitude. Originaire de Santa Monica, banlieue de Los Angeles qualifiée de « république populaire » pour son gauchisme, Miller grandit dans une famille juive aisée et démocrate. A l’adolescence, il découvre les idées conservatrices à la lecture d’un ouvrage de Wayne LaPierre, vice-président de la NRA, Guns, Crime and Freedom (armes, crime et liberté). C’est une révélation. Au lycée de Santa Monica High School (« Samohi »), il se bat avec la direction pour rétablir le serment d’allégeance, défend la guerre en Irak et dénonce l’usage de l’espagnol comme une « béquille » aux Latinos. « Je pensais qu’il avait juste l’esprit de contradiction, raconte son ancien condisciple Nick Silverman. Je n’avais pas mesuré qu’il était si radicalisé. A 16 ans, Stephen était déjà un nationaliste extrémiste. » Dans la Californie ultralibérale, il se lie avec d’autres « résistants » comme Larry Elder, un animateur de radio conservateur, qui l’invitera plus de 70 fois dans son émission, et David Horowitz, ancien marxiste passé à l’extrême droite, qui le lancera en politique grâce à ses réseaux. Lorsqu’il arrive à l’université Duke, en Caroline du Nord, il se présente d’une phrase : « Je m’appelle Stephen Miller, je viens de Los Angeles et j’aime les armes. » Il s’illustrera dans le journal de la fac en défendant, bien avant qu’ils ne soient innocentés, les joueurs blancs d’une équipe de lacrosse accusés de viol par une stripteaseuse noire. Son assurance à toute épreuve lui vaudra une certaine notoriété sur CNN et Fox News.
Grâce à Horowitz, Miller débarque au Congrès à 24 ans, devient le porte-parole de plusieurs élus du Tea Party avant de monter en grade auprès de Jeff Sessions, l’actuel attorney général. En 2013, ce militant infatigable se bat bec et ongles pour faire capoter une réforme bipartisane de l’immigration qui aurait ouvert une voie à la régularisation des clandestins. A l’été 2014, un an avant le lancement de la candidature de Trump, il repère une interview du promoteur new-yorkais sur Breitbart News, le site dirigé par Bannon, qu’il envoie à ses amis avec ce commentaire : « Trump a tout compris, j’espère qu’il va se présenter. » Autant dire que Stephen Miller avait tout compris. À WASHINGTON, PHILIPPE GÉLIE
Sa loyauté est sans limites