Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Je n’en suis pas encore à regarder la chaîne météo en continu qui, m’obligeant à rester chez moi, rendrait inutiles ses précieux renseignements. Mais je fais plus que jamais mon principal lien social de l’échange des considérations thermiques. Une érudition exigeant une remise à jour quotidienne et la multiplicité des sources : flashs dans la journée ; bulletins avant le 20 heures mais aussi après ; prévisions radiophoniques ; application du smartphone. Avec une attention particulière pour les efforts vestimentaires des présentatrices qui ont à coeur de varier leur tenue en fonction de la saison bien que la clim de leur studio soit réglée toute l’année à 19 °C. Parfois, je devine que si Anaïs et Chloé ont les bras nus, c’est parce qu’ensuite elles courront vers une sauterie où elles croiront tenir la vedette culturelle alors qu’on ne les interrogera que sur la grosseur des grêlons dans le Bas-Morvan. J’admire que les petites fées de la pluie et du beau temps consacrent autant de minutes à leur apparence en plus de se concentrer, j’imagine, sur les emplacements respectifs de Dunkerque et de Tamanrasset. J’apprécie que l’ingénieur Louis Bodin porte la cravate et qu’il dispose dans son bureau d’un aussi grand nombre de cadrans que s’il barrait un catamaran. Le brio des exposés des unes et des autres m’épate car je ne distingue pas dans leur regard le reflet des prompteurs.
Naturellement, je m’intéresse prioritairement à la région où je vis et à celle que je projette de fréquenter. Mais je ne comprends pas pourquoi régulièrement on me parle de Saint-Pierre-et-Miquelon situé à près de 5 000 kilomètres de ma résidence habituelle. Certes, je n’ignore pas que cet archipel d’aspect plutôt sauvage baigne dans l’Atlantique mais ce n’est pas celui dans lequel je fais trempette. Qu’irais-je faire dans un endroit aussi froid et humide dont je ne connais aucun des 6 057 habitants ? Evelyne est ma conseillère en cache-nez. J’ai l’impression qu’elle a pris la suite de ma pauvre maman qui se préoccupait davantage de ce que j’avais autour du cou que dans la tête. Durant ce petit office précédant la grand-messe, mon esprit futile s’accroche à des détails plus ou moins signifiants : les caprices des anticyclones qui rayent fâcheusement mon écran et le choix des localités dans lesquelles, au petit jour mais en se maintenant sous abri, les releveurs de degrés ont noté des fraîcheurs qui ne sont déjà plus d’actualité. Le temps qu’il fera ne fait pas toujours oublier le temps qui a passé. Ainsi, rien ne ressemble-t-il davantage aux défuntes distributions des prix que le palmarès torride où les villes les plus étouffantes tiennent le rang dévolu naguère aux forts en thème. Si Montauban (sans doute ainsi nommé pour sa montée régulière du thermomètre) distille une chaleur risquant d’être contre-productive sur le plan touristique, Aurillac donne l’impression guère plus encourageante d’être adossé à une banquise. Les rubriques météo ont ceci de commun avec les rubriques sportives qu’elles exigent l’évocation d’événements répétitifs avec des mots toujours différents. Si les Cassandre du fond de l’air s’ingénient à délocaliser sans cesse leurs prophéties, c’est pour donner leur chance à des bourgades dont on ne connaissait même pas l’existence. Mais c’est avec la vitesse du vent – tantôt estimée en kilomètre à l’heure tantôt (plus raffiné) en kilomètre par heure – que chaque célébrant personnalise son homélie. D’autres font appel à des expressions moins usitées lorsqu’ils préfèrent les précipitations à la pluie. Quand la conjoncture est rassurante, c’est-à-dire lorsqu’il va neiger mais que je n’ai pas l’intention de sortir, je m’interroge : pourquoi voit-on plus souvent le crâne de Bodin que le Mont-Blanc ? Sont-ce les grands couturiers qui habillent les prêtresses des cumulonimbus ? Et, dans l’affirmative, doivent-elles rendre le lendemain ce qu’elles ont porté la vieille et qu’on ne verra plus ensuite ? Pourquoi ne pas soigner davantage l’illustration sonore ? Par exemple, quand la tempête s’annonce, en faisant souffler un ventilateur dans l’opulente chevelure de Tatiana ? Pourquoi ne fait-on pas un gros plan sur l’évier tous robinets ouverts lorsque menacent les inondations ? Pourquoi incombe-t-il aux desservants de la météo la tâche supplémentaire d’annoncer le nom du présentateur du grand journal d’information qui suit depuis que, pour des raisons obscures, on a renoncé à le faire scintiller en début de générique ? La grande nouveauté réside dans le passage du « ressenti » des conversations privées aux les bulletins officiels. La tentation est grande, quand on tourne autour de 38 °C, de claironner un ressenti de 40. Ressenti par qui ? Ressenti dans quelle tenue ? Mystère. Mais le ressenti humain s’imposera tant qu’on ne verra pas un thermomètre suer à grosses gouttes.
Montauban sans doute ainsi nommé pour sa montée régulière du thermomètre