Le Figaro Magazine

En vue : d’un Hollywood l’autre

Un livre magistral montre comment le tournage catastroph­ique du film de Mankiewicz signa la mort du vieil Hollywood.

- • NICOLAS UNGEMUTH

L’histoire de la production de Cléopâtre pourrait, à elle seule, faire l’objet d’un livre », écrivait Hubert Prolongeau dans son excellente biographie de Joseph L. Mankiewicz parue il y a plus de vingt-cinq ans. C’est chose faite : le journalist­e Olivier Rajchman raconte dans les moindres détails le tournage mythique en forme de naufrage pharaoniqu­e s’étalant sur plus de deux ans qui coûta des millions de dollars imprévus ainsi que la carrière de Mankiewicz. Mais il ne raconte pas que ça… Très intelligem­ment, il s’empare des années 1960 à 1963 et écrit, via un montage parallèle magistral, la fin d’une époque. Il y a d’un côté Mankiewicz et de l’autre le magnat Darryl F. Zanuck mais aussi Elizabeth Taylor, star impériale et mère de tous les scandales, face à une Marilyn au fond du gouffre. Tout autour, la 20th Century Fox, qui sombre également. Le livre se lit comme un roman policier dont l’assassin s’appellerai­t Hollywood et la victime Mankiewicz.

Lorsque la Fox propose au metteur en scène de remplacer un tâcheron incapable de réaliser Cléopâtre (à Londres !), le cinéaste est déjà une légende : réalisateu­r de classiques comme L’Aventure de Mme Muir, La Comtesse aux pieds nus ou Soudain l’été dernier, il a également reçu l’oscar du meilleur scénario et celui du meilleur réalisateu­r pour son chef-d’oeuvre, Eve, en 1950 (face à Sunset Boulevard, de Billy Wilder, ce qui en dit long sur le niveau de la production à l’époque). Cléopâtre ne l’intéresse pas – il souhaite adapter Le Quatuor d’Alexandrie, de Durrell – mais il finit par accepter et impose son vieil ami Rex Harrison dans le rôle de César et le nouveau venu Richard Burton dans celui de Marc-Antoine. Le tournage quitte les studios Pinewood londoniens pour Cinecittà. A Rome, Liz Taylor, qui a signé pour un million de dollars – du jamais vu à l’époque –, emménage dans une coûteuse villa avec Eddie Fisher, l’homme qu’elle a volé à Debbie (mère de Carrie, la princesse Leia de Star Wars). Elle insiste pour avoir un cuisinier grec rencontré sur un yacht, un coiffeur spécial, et se fait livrer son chili préféré de chez Chasen’s par avion depuis Los Angeles.

De son côté, Zanuck a démissionn­é de son poste à la Fox (dont il est encore actionnair­e majoritair­e) et vit à Paris, au 44 rue du Bac, après s’être fait plaquer par Juliette Gréco. Désormais producteur indépendan­t, il lance le projet fou du Jour le plus long, qu’il réalise lui-même et propose à la Fox. John Wayne, Robert Mitchum, Henry Fonda, Sean Connery, Bourvil, Aletty, Jean-Louis Barrault et même Paul Anka font partie du casting de ce film reconstitu­ant le Débarqueme­nt. Techniquem­ent, il est complexe à tourner mais Zanuck, opiniâtre, y parvient. A Rome, en revanche, tout s’enlise sur le tournage de Cléopâtre. Burton et une Taylor très alcoolisée sont désormais en couple, Eddie Fisher est furieux, la presse se déchaîne et le Vatican condamne l’actrice. Mankiewicz est contraint d’écrire le scénario au jour le jour. Les décors ne vont pas, 15 000 costumes sont fabriqués, le budget explose, la Fox s’énerve. Le réalisateu­r veut faire un film psychologi­que, le studio souhaite un grand spectacle avec des batailles, d’autant que Zanuck, auréolé du succès du Jour le plus long, est revenu à la Fox et déteste les rushs qu’il visionne. Le tournage s’achèvera dans la douleur et le film, conçu comme un diptyque de six heures par Mankiewicz, est sauvagemen­t mutilé, passant à quatre heures et trente minutes pour finir à trois heures et treize minutes. Il a coûté près de 40 millions de dollars, 30 de plus que prévu. Mankiewicz ne s’en remettra jamais et ne tournera plus que trois films avant d’arrêter le cinéma, en 1972, avec son ultime chef-d’oeuvre, Le Limier. Zanuck quittera à nouveau la Fox et Marilyn, éjectée d’un remake tourné pour la Fox (Something’s Got to Give), mourra dans d’étranges circonstan­ces en 1962 sans avoir jamais réussi à égaler sa grande rivale brune. Mankiewicz, peu avant sa mort, résuma tout cela de manière assez radicale : « La différence entre la vie et le cinéma, réside dans le fait qu’un scénario doit avoir du sens, alors que la vie n’en a pas besoin. »

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Hollywood ne répond plus, d’Olivier Rajchman, BakerStree­t, 413 p., 21 €.

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