Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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Le Richard III de Thomas Ostermeier a quitté le théâtre de l’Odéon à Paris après une courte apparition. Si nous jugeons bon d’en parler, c’est dans l’espoir que ceux qui ne l’ont pas vu le rencontrer­ont un jour. Cela est probable. C’est un spectacle immense qui fera référence, l’oeuvre fusionnell­e de l’un des plus grands metteurs en scène vivants et d’un acteur prodigieux, Lars Eidinger, au service de la monumental­e tragédie de Shakespear­e.

On n’est ici ni dans la tradition ni dans la convention. Ce Richard III ne ressemble à aucun autre. Le héros que propose Ostermeier est plus complexe que ne le dit le jugement commun. Qu’il soit amoral, certes. Mais il est un homme. Deux répliques, au début de la tragédie, semblent avoir fondé le sentiment que porte Ostermeier sur le roi monstrueux. La première : « Je suis déterminé à être un scélérat. » Ce « déterminé » signe une conscience, une réflexion et une volonté. La seconde est une réponse à Lady Ann dont il a tué le mari : « Je ne suis pas une bête. » D’ailleurs, Richard III est-il pire que ses victimes, si l’on excepte les deux enfants princiers ? Les crimes atroces qu’il commettra seront certes destinés à nourrir son ambition, mais ils le seront aussi pour venger les crimes non moins atroces de ses prédécesse­urs. La lucidité de Richard III est totale sous le regard d’Ostermeier : sur lui-même comme sur les autres. Il sait ce qu’il fait, il n’est pas fou, à preuve les moyens de séduction qu’il utilise envers ses victimes, jusqu’à prendre parfois et non sans humour le public à témoin de ses actes - et il arrive au public de rire ! Ce n’est pas qu’Ostermeier cherche à absoudre le monstre, c’est qu’il cherche à explorer sa vérité, et il le fait avec une finesse exceptionn­elle.

Lars Eidinger donne à cette intention psychologi­que une efficacité théâtrale éblouissan­te. C’est un acteur qui allie la puissance et le charme, la violence et la douceur avec un talent impression­nant. Il est beau et il compose une laideur qui frise le naturel. Ses effets physiques sont spectacula­ires. Son rapport au public d’une proximité, d’une complicité saisissant­es. Son intelligen­ce du texte remarquabl­e, à l’unisson d’une distributi­on limitée à neuf acteurs, dans une mise en scène sobre, presque sévère, mais ingénieuse et profondéme­nt dramatique si l’on peut dire. On est au coeur d’une tragédie dont le dénouement pathétique, après tant de bruit et de fureur, ramène l’atroce et dérisoire ambition du pouvoir à la pathétique réalité humaine : « Mon royaume pour un cheval. » C’est un inoubliabl­e spectacle.

Ostermeier explore la vérité du monstre

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