UN HÉRITAGE DÉTOURNÉ ?
On n’est jamais trahi, instrumentalisé, que par les siens. Ou plutôt par ceux qui se revendiquent tels afin de mieux pervertir l’esprit et la lettre d’un héritage. Celui de Simone Veil avait été dévoyé dès avant sa mort. Depuis 2013, une génération de néoféministes s’était employée à déconstruire sa loi sur la dépénalisation de l’IVG et à dissoudre la substance éthique de la présentation qu’elle en avait faite à l’Assemblée nationale en 1974. Mercredi, ce n’est donc pas seulement sa dépouille que l’on a ensevelie, mais son coeur, au sens biblique du terme : le lieu de l’intelligence, de la volonté, de la mémoire. Que la question de l’avortement soit corrélée à celle de la civilisation, Simone Veil le savait. Son credo n’était-il pas de « conserver à la vie sa valeur suprême » ? Dès lors, attenter à la vie – présente ou à venir – de l’enfant ou de la mère ne pouvait être qu’un mal. Qu’en certains cas le mal soit inévitable ne change rien à l’affaire. Parce que mal nécessaire, l’avortement ne devient pas ipso facto un bien… Simone Veil l’a toujours considéré comme « un échec quand il n’est pas un drame ». C’est pourquoi elle martelait qu’il devait « rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue ». Exception éthique et juridique, l’avortement ne pouvait et ne devait devenir une règle, une norme, un droit : la loi, disaitelle encore, « si elle n’interdit plus, ne crée aucun droit à l’avortement ». Dans son esprit, il s’agissait avant tout d’une réponse à une question de santé publique (en finir avec les avortements sauvages).
Sur ce sujet, les choses ont donc toujours été claires pour Simone Veil. Mais elles ne le sont pas moins pour ses héritières autoproclamées qui s’y opposent frontalement et brutalement. Leur dogme, partout répété, assené, médiatisé, tel un mantra :
« réaffirmer l’IVG comme droit fondamental ». Donc transformer l’exception en règle, faire de l’avortement une norme, détruire la limite éthique par le hors limite juridique. Ainsi, « la situation de détresse » comme condition nécessaire à l’avortement a été supprimée du code de la santé publique, ouvrant le gouffre de tous les avortements de confort ou de convenance possibles et imaginables. De même le « délai de réflexion » prévu par Simone Veil a-t-il été supprimé afin de parer aux éventuelles prises de conscience qui accompagnent souvent la pensée critique… Enfin, last but not least, a été récemment créé le « délit d’entrave numérique à l’IVG », police de la pensée 2.0. La finalité de ce processus de banalisation et de normalisation est claire : ôter à l’acte sa dimension tragique, éthique, existentielle, exceptionnelle – osons le mot : civilisationnelle. Et, du même coup, ôter aux femmes la liberté de prendre conscience de ce qui se joue alors au plus intime d’elles-mêmes : donner la vie/donner la mort. On est là aux antipodes de la pensée de Simone Veil. PAULIN CÉSARI