LES PASSIONS DES PUISSANTS
Le pouvoir est un puissant aphrodisiaque. Ce mois-ci, la Revue des deux mondes raconte les passions qui ont changé le cours de l’histoire. Le vétéran mensuel littéraire et politique, fondé en 1829, n’a rien perdu de sa vigueur. Sous la direction de Valérie Toranian, la revue allie subtilement critique littéraire et artistique, analyses, reportages et dossiers historiques. On y retrouve, entre autres, une délicate chronique de Marin de Viry intitulée « L’amour sous Macron », des extraits choisis de l’ouvrage La Fontaine. Une école buissonnière, par Erik Orsenna, et une plongée au coeur de la littérature de la Révolution française menée par Marc Fumaroli. Pour mieux lier encore la littérature et l’histoire, la revue fait la part belle à Jean d’Ormesson, qui relate le passé en parlant d’amour. Il nous emmène dans les arrièrecours et les passages secrets des palais d’hier et d’aujourd’hui, où les passions rôdent depuis des siècles, où l’on rencontre Bianca Capello, Anne Boleyn et Charlotte de Montmorency racontant à qui veut bien les écouter comment rois et princes fâchèrent pour elles des papes, des pères et des royaumes, levèrent des armées et fondèrent des Eglises. On y croise aussi, bien sûr, le pauvre Titus et le sévère Talleyrand qu’aucun amour, si pur eût-il été, n’aurait pu détourner de la raison d’Etat. L’exercice du pouvoir, n’en déplaise aux tenants de la transparence et du tout-voir-tout-savoir, ne s’exerce jamais hors du champ amoureux. Jean d’Ormesson, l’homme qui connut tous les présidents, en raconte les amours avec pudeur. Il compare en s’amusant la séduction opérée par les hommes de pouvoir et par les écrivains : « L’écrivain a le temps alors que l’homme politique, non. L’écrivain traite mieux les femmes ! » Même si, pour lui, l’attirance pour l’homme de lettres est un trait bien français, dû à une importance particulière, dans notre histoire, de la littérature. Un règne qui touche à sa fin : « L’écrivain était protégé par son mystère », que la télévision a tué. On honore l’écrivain non plus pour ce qu’il écrit mais parce qu’il est célèbre. « Ces gens-là ne m’ont pas lu, ils m’ont vu. »
L’homme de pouvoir séduit par ce qu’il est, l’écrivain voudrait plaire avec ce qu’il écrit. Quand, de compagnon de lecture solitaire, il devient homme de plateaux, on ne lui demande plus des autographes mais des selfies. Quand la séduction change de registre, c’est que l’Histoire change de période. On peut alors conclure, avec Jean d’Ormesson : « Le règne du grand écrivain s’achève. » Revue des deux mondes, juillet-août 2017, 208 p., 15 €.
Jean d’Ormesson : « Ces gens-là ne m’ont pas lu, ils m’ont vu »