PLEIN LA BOTTE

LOOPING, d’Alexia Stresi, Stock, 263 p., 18,50 €.

Que fait-on des gens comme elle ? On les enferme en cage ? » se demande Bruno Ongaro en regardant son avion décoller avec sa femme, Noelie, aux commandes. Drôle d’oiseau, celle-là ! Née à l’entame du XXe siècle dans une ferme de Ligurie, elle rencontre son père à 17 ans, quand il vient chercher femme et enfant pour les emmener en Libye où Mussolini l’a nommé podestà de Tripoli. Noelie arpente le souk, étudie l’arabe, crée un élevage de poules, se marie avec un aviateur, apprend à piloter, fait du troc avec des tribus nomades sahariennes. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, de retour en Italie, elle se lance dans le commerce, cache à sa voisine les infidélités de son mari, le président de la République Giovanni Gronchi, qui l’envoie en Libye négocier avec son président, un certain… Kadhafi. Elle organise aussi des fêtes costumées avec les Pahlavi, s’improvise productrice de cinéma – on en passe. Derrière le récit, tour à tour léger et profond, ironique et grave, réaliste et extravagant, de la vie de Noelie par la voix de sa petite-fille, c’est tout un pan de l’histoire de l’Italie qui défile. Et c’est impressionnant.

On connaissait Alexia Stresi comédienne et scénariste : on ignorait ses qualités de conteuse et d’écrivain. Manipulatrice de talent à l’écriture sobre et fluide, elle signe un premier roman d’une grande maîtrise narrative et stylistique. Aucun temps mort, aucune pause, aucun répit dans ce texte où l’on passe d’un continent à l’autre, d’un destin à l’autre, d’un engagement à l’autre sans savoir ce qui relève de la vérité ou de la légende.

Réuni à l’hôtel Raphael, à Paris, le jury du grand prix de l’héroïne Madame Figaro (Anne-Florence Schmitt, Rachida Brakni, Patrick Poivre d’Arvor, Nathalie Rykiel, Pierre Lescure, Bouchra Jarrar...) ne s’y est d’ailleurs pas trompé en la récompensant la semaine dernière dans sa catégorie « roman français » (les deux autres lauréates étant Lauren Groff pour Les Furies – roman étranger – et Chimamanda Ngozi Adichie pour Chère Ijeawele – « document »). Particulièrement apprécié : le looping final. Il est en effet redoutablement efficace.

MARIE ROGATIEN