Les insolences d’Eric Zemmour
Dès le 11 septembre 2001, on a compris que la date resterait dans l’Histoire, mais pas pour les raisons d’abord avancées. Le 11 septembre 2001 n’est pas, comme l’ont cru nombre d’observateurs, le départ d’une nouvelle ère plus conflictuelle entre l’lslam et l’Occident. La guerre des civilisations avait commencé avant. Ben Laden, le « héros » de cette journée pour les masses arabes et tous les ennemis de l’Amérique, a été exécuté depuis par les forces spéciales de l’US Army.
Le président George Bush et les intellectuels néoconservateurs qui le conseillaient ont cru que cet attentat pourrait servir de prétexte pour permettre à la puissance américaine de remodeler tout le Moyen-Orient autour des valeurs démocratiques et de la sécurité d’Israël. L’échec est total ; à la place des dictateurs laïques, on a eu les islamistes du califat ; et l’Iran a amené ses troupes à la frontière nord d’Israël. Alors ? Le grand historien français Fernand Braudel, mort bien avant 2001, avait sans doute donné la clé d’interprétation la plus pertinente. Il expliquait que ce qu’il appelait « l’économie-monde » s’organisait toujours autour d’un centre et de cercles concentriques. Le centre était le lieu le plus dynamique, et donc hégémonique. Il s’était successivement appelé Gênes, Venise, Amsterdam, Londres. Le centre de l’économie-monde était imprenable par les armées ennemies. Amsterdam avait échappé aux armées de Louis XIV ; Londres resta hors de portée de la Grande Armée de Napoléon. Quand la ville était conquise, c’était le signe infaillible qu’elle n’était plus le centre hégémonique. Amsterdam pris par les soldats de la Révolution française ; Londres bombardé par Hitler. New York fut le centre de l’économie-monde du XXe siècle. Pendant les deux guerres mondiales, l’Amérique était restée inviolée.
Le coup d’audace de Ben Laden a mis un terme à cette inviolabilité. New York n’était plus le centre de l’économiemonde, qui était passé sur le Pacifique, entre Los Angeles (les fameux Gafa) et la Chine (atelier du monde.)
Pour les Etats-Unis, ce basculement est historique. Le 11 Septembre a sonné la fin de l’hyperpuissance mais seul Obama l’avait compris. L’Amérique n’a subi depuis lors que des échecs : en Irak, en Afghanistan, où les talibans sont revenus, en Syrie, où la Russie lui a résisté. Même le tyran de Corée du Nord la nargue avec ses missiles nucléaires. La Chine devient partout son rival du XXIe siècle, économiquement et militairement. A l’intérieur de la nation-continent, ce basculement économique a des conséquences politiques : la Californie, soutenue par les médias bienpensants de la côte Est, ne reconnaît pas la légitimité de l’élection de Donald Trump. Les vainqueurs de la mondialisation n’ont plus de valeurs en commun avec les perdants. La gauche radicale ramène la guerre raciale sur le devant de la scène. Le spectre de la désagrégation et de la guerre civile, prophétisé par Samuel Huntington dans Qui sommes-nous ?, paraît soudain moins utopique. Le 11 septembre 2001, il n’y a pas que les deux tours du World Trade Center qui se sont effondrées.
Pour les Etats-Unis, ce jour entré dans l’Histoire a sonné la fin de l’hyperpuissance