Voir Paris à sa porte
Les Journées européennes du patrimoine sont l’occasion de revisiter les trésors de notre vie quotidienne, trop souvent oubliés. De porte en porte, hôtels particuliers et beaux immeubles dévoilent leurs ornements : heurtoirs, marteaux et figures allégoriqu
La porte se referme… sifflement, grincement de gonds, clac et soudain, un nouveau monde s’ouvre. Dehors la ville bruyante, dedans le lieu où des hommes vivent au calme. Sous le porche, l’écho de ce bruit sourd s’évanouit. Frontière entre les rues imprévisibles et l’espace choisi, la porte cochère est un signe. Un langage. Un outil de pouvoir en soi. Ceux qui en ont la clé, le code, qui savent manier le judas, le heurtoir, le loquet, user de l’interphone, du visiophone ou du digicode, voire forcer la serrure, en sont les maîtres. Le fléau – c’est ainsi qu’est nommée la barre de fer qu’il faut parfois relever pour écarter les deux battants –, la rotation de la crémone en fonte, le « gong » du heurtoir qui frappe une tête de clou ou le loquet de la serrure qui se défait émettent des sons caractéristiques. « La porte est une rencontre toujours délicate entre la pierre et le bois, explique Alexandre Gady, inlassable arpenteur de la capitale et auteur d’un très beau livre sur les hôtels particuliers (réédité cet automne chez Parigramme, 49 €). Lorsque cette rencontre est réussie, on se trouve comme devant une robe dont le pli serait bon : elle tombe parfaitement. » Les portes d’hôtels particuliers, de belles maisons du Marais, du faubourg Saint- Germain ou des Grands Boulevards relèvent de l’oeuvre d’art. « Certaines sont les vestiges de superbes ensembles détruits, note Alexandre Gady, qui lit les façades comme des tableaux. Quai de Béthune, par exemple, sur l’île Saint-Louis, il existe une porte qui a survécu à la destruction du superbe hôtel Hesselin – construit par Louis Le Vau – dans les années 1930. Helena Rubinstein, la propriétaire de l’époque, a dû conserver cette porte cochère d’origine, protégée par les Monuments historiques. » Une porte sublime qui reste visible par tous. « C’est un cadeau pour le passant, ajoute-t-il, un musée gratuit pour le promeneur. » Et dire que ces « huis » sont le fruit du travail d’artisans dont il serait difficile de retrouver le savoir-faire aujourd’hui. « On a même déniché, rue de Sévigné, sur la porte d’une maison bourgeoise datant de 1695, la signature du menuisier. C’est rarissime. » Ouvrages résistants, les plus anciennes portes cochères encore en usage à Paris datent approximativement du dernier quart du XVI . A l’époque, elles étaient fabriquées en bois et peintes pour les protéger. « Il ne nous reste malheureusement que peu de renseignements sur les couleurs d’origine des portes, car elles ont été souvent sauvagement décapées, regrette Alexandre Gady.eCe chapitre manque cruellement à l’histoire chromatique de la capitale. Pour retrouver le rouge sang de boeuf, le bleu turquoise, le vert qui étaient utilisés à cette époque, il est indispensable de sonder le bois dans les fonds de moulure. On ne dit jamais assez combien cette manie qui consiste aujourd’hui à aimer les beaux matériaux, à mettre “à nu” une porte fait des ravages. Pire, les peintures modernes, parfois corrosives pour le bois, écrasent la lumière… et alors le “vibrato” disparaît », déplore-t-il encore.
Au milieu du XVIIe siècle, la porte en bois cloutée laisse place à des portes plus dépouillées, parfois surmontées de vantaux décorés. Ce n’est qu’au XIXe que la fonte apparaît dans leur fabrication, puis le verre au XXe siècle. La nomenclature – serrure, poignée, chasse-roue, linteau plat, en anse de panier ou bien en demi-cercle (en plein cintre), heurtoir et judas – reste de mise. « Le suisse ou le portier se tient toujours dans une loge située à côté de l’entrée, explique Alexandre Gady. Lorsqu’un visiteur se présente, il regarde par le judas pour l’identifier. Si celui-ci est sans voiture, il ouvre le vantail destiné aux gens de pied. » A la fin du XVIIIe siècle, à propos du suisse, Louis-Sébastien Mercier, essayiste des Lumières et auteur du Tableau de Paris (1781) écrit : « L’emploi du portier est de siffler quand on vient vous rendre visite, autant de coups qu’il y a d’étages à l’appartement que vous occupez, ce qui donne le temps, quand on reçoit ses amis, de cacher bien vite ce qu’on n’aime pas qu’ils voient, et d’arranger au contraire tout ce qu’on veut qu’ils aperçoivent. Rien n’est plus commode dans un pays où l’on a toujours mille secrets à taire » (extrait des Plus Belles Portes de Paris, de Jean-Marc Larbodière, Massin, 2006). Les « huis » de ces nobles demeures sur lesquels ébénistes, serruriers, ferronniers ont oeuvré, laissent envisager d’autres seuils : les portes du ciel, de l’enfer, de la mort, du paradis, autrement plus définitives et mystérieuses.
LE FRUIT DU TRAVAIL D’ARTISANS AU SAVOIR-FAIRE UNIQUE