LE BLUES DES PROPRIÉTAIRES
Impôt sur la fortune immobilière, hausse prévisible des taxes foncières, encadrement des loyers…, les propriétaires immobiliers ont le sentiment d’être maltraités. Et s’il valait mieux, désormais, être locataire ?
C’estunsentiment diffus mais de plus en plus répandu : en France, mieux vaut sans doute être locataire que propriétaire. La loi, en effet, a une fâcheuse tendance à pencher en faveur des premiers. On connaît le calvaire des propriétaires de biens locatifs, leurs difficultés à se débarrasser des mauvais payeurs, ultraprotégés, les charges d’entretien et les travaux de réparation incessants qui pèsent sur la rentabilité de leurs investissements… Depuis quelques mois, c’est désormais la fiscalité qui contribue à leur donner le sentiment qu’en devenant propriétaires, ils n’ont peutêtre pas fait le meilleur choix. Tous s’attendent aujourd’hui à voir leurs impôts fonciers augmenter car, pour compenser la disparition annoncée de la taxe d’habitation – cadeau octroyé par M. Macron aux locataires comme aux propriétaires, il est vrai –, les collectivités locales, en quête de ressources, se tourneront irrémédiablement vers eux, qui sont souvent présentés comme des rentiers. Tous savent aussi déjà, parmi les propriétaires de biens locatifs, qu’ils vont subir de plein fouet la hausse de la CSG (+ 1,7 point) annoncée par le gouvernement. Et, en prime, la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et recentré sur la pierre exclusivement, est vécue par beaucoup comme une injustice fiscale.
Dans ces conditions, à quoi bon s’endetter toute sa vie durant pour s’offrir un logement taxé à l’IFI (c’est le cas de nombreux propriétaires à Paris, où les prix ont quasiment doublé ces douze dernières années) quand le fait de rester locataire, de dépenser ses ressources plutôt que d’épargner dans la pierre en vue de préparer sa retraite ou de transmettre un jour un bien à ses enfants aurait permis d’y échapper ? Et à quoi bon investir dans l’immobilier locatif si c’est pour voir ses revenus fonciers toujours plus lourdement taxés, à la fois par l’impôt sur le revenu, une CSG de plus en plus dissuasive, des prélèvements sociaux de moins en moins indolores, et l’IFI pour ceux qui y sont assujettis ? Pour les pro-
priétaires imposés dans les tranches marginales les plus élevées de l’impôt sur le revenu, ce sont plus de 60 % de revenus locatifs qui partent ainsi, bon an mal an, dans les caisses de l’Etat ! Une injustice quand on sait que les revenus du capital mobilier devraient, eux, bénéficier bientôt d’une flat tax à 30 %, prélèvements sociaux inclus.
La France détient un triste record : de tous les pays de l’Union européenne, elle est celui qui taxe le plus fortement, de façon récurrente, la propriété foncière et immobilière, révèle le rapport « Taxation trends in the European Union » de 2017. En 2015, les impôts prélevés à ce titre (« recurrent taxes on immovable property ») se sont élevés à 69,7 milliards d’euros (3,2 % du PIB français). Le sort des propriétaires allemands est bien préférable à celui des Français, avec 13,3 milliards d’euros d’impôts (0,4 % du PIB), ce qui situe l’Allemagne à la 19e position. D’autres font mieux encore, comme l’Autriche (25e position, 0,2 % du PIB) ou le Luxembourg (26e position, 0,1 % du PIB). « Les impôts récurrents sur la propriété foncière et immobilière ont considérablement augmenté en France au début du quinquennat de François Hollande,
relève le think tank Iref (Institut de recherches économiques et fiscales), puisqu’ils sont passés de 48,4 milliards d’euros, soit 2,4 % du PIB, en 2012, à 68,1 milliards d’euros, soit 3,2 % du PIB, en 2014, soit une hausse de 40 % ; si bien que la France a ravi au Royaume-Uni sa place de champion en la matière. »
Cerise sur le gâteau, les propriétaires de biens locatifs ne sont bien souvent même plus libres de fixer leurs loyers comme ils l’entendent, ces derniers étant encadrés à Paris (depuis le 1er août 2015) et à Lille (depuis le 1er février 2017). Là encore, cette mesure ne profite qu’aux locataires… et pas du tout aux propriétaires. Elle dissuaderait plutôt ces derniers d’investir dans l’immobilier locatif. D’autant que la rentabilité d’un tel investissement tend à s’éroder. Depuis 2013, soit bien avant la mise en place de la loi Alur, les loyers progressent moins vite que l’inflation : ils n’ont grimpé en moyenne que de 0,2 % par an, contre 0,6 % pour l’indice des prix. Pire : ils ont maintenant tendance à diminuer. Selon l’observatoire Clameur, les loyers étaient en recul de 0,6 % à fin août, sur un an. On comprend pourquoi l’appel d’Emmanuel Macron invitant les propriétaires à diminuer généreusement leurs loyers de 5 € par mois pour compenser la diminution des APL a été plutôt mal accueilli.