En vue : MoMA, un musée américain à Paris
Le MoMA de New York prête à la Fondation Vuitton à Paris 200 chefs-d’oeuvre qui reflètent la naissance de l’art du XXe siècle. Exceptionnel.
Au fronton du musée d’Art moderne de New York, cette réflexion de l’artiste Kurt Schwitters devrait être gravée : « Tout ce que je crache est de l’art » tant elle illustre l’une des tendances fortes du musée. On ne s’étonne plus, aujourd’hui, d’y assister à une rétrospective d’un peintre de 23 ans ni d’y voir exposé un sac de charbon ou une affiche lacérée. Le MoMA se considère en effet moins comme le gardien du passé que comme un animateur du présent. Ce que confirme Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis-Vuitton, qui expose 200 chefs-d’oeuvre prêtés par le musée américain : « Référence de l’art moderne en Occident, instance longtemps incontestée d’un récit historique admis, le MoMA s’est aussi imposé comme une instance de décryptage de l’actualité. » L’exposition de la Fondation Vuitton se déploie comme un récit chronologique. Elle rappelle la création, il y a bientôt quatre-vingt-dix ans, du musée qui fut d’abord le rassemblement le plus spectaculaire qui soit du modernisme européen. L’autre grand musée new-yorkais, le Metropolitan Museum, ayant réussi à rassembler un lot exceptionnel de toiles impressionnistes, le MoMA jugea plus sage de fixer le point de départ de sa collection de peinture et de sculpture en 1880, avec les générations postérieures à Monet et ses amis – celle de Gauguin, Van Gogh, Seurat – et, bien sûr, celle de Matisse (Poissons rouges et palette) et Picasso (Jeune garçon au cheval). Lors de son inauguration en 1929, le panorama artistique des Etats-Unis reflétait encore une considérable immaturité par rapport aux multiples mouvements rénovateurs qui s’étaient fait sentir en France depuis le début du XXe siècle. Pour résumer brutalement la situation, l’Amérique n’avait pas de peintres.
Mais l’histoire progresse vite. New York va devenir un creuset : chassée par la montée des fascismes, une bonne part de l’intelligentsia européenne se retrouve pendant la guerre dans la Grosse Pomme, où va se constituer une nouvelle Athènes. Ce foyer cosmopolite, où l’on assiste au passage de témoin de l’Europe vers les Etats-Unis dans les années 1939-1960, va donner naissance à une école newyorkaise qui, autour d’une quinzaine d’artistes (Jackson Pollock, Echo : Number 25, Willem de Kooning Woman I, Mark Rothko N° 10), prendra le nom d’expressionnisme abstrait et triomphera dans les années 1950. La même volonté de transgresser l’héritage du passé, de contester les valeurs établies, donnera aussi naissance au pop art qui trouvera son pape avec Andy Warhol (Campbell’s Soup Cans) tandis que Roy Lichtenstein offrira au pop ses plus spectaculaires archétypes (Drowning Girl) (galeries 1, 2, 4 de l’exposition).
Comme le résume Bernard Arnault, l’exposition évoque, salle après salle, cette évolution du MoMA, « passeur de la modernité européenne, mais aussi acteur assumé de l’art américain devenu une institution majeure de la scène artistique mondiale ». Ce musée obéit en effet à deux principes illustrés par le circuit de l’exposition. Dès sa création, la collection s’est voulue pluridisciplinaire : design, photographie (avec un ensemble spectaculaire de clichés d’Eugène Atget et plusieurs très beaux tirages d’Alfred Stieglitz), cinéma, architecture, art graphique, oeuvres liées aux cultures digitales y cohabitent. Le second principe touche à sa politique d’acquisition dans le domaine contemporain : les achats sont souvent provisoires, à charge pour les générations futures de les juger dignes ou non d’entrer dans la collection permanente. Cette souplesse, qui n’existe pas dans les musées français où les oeuvres sont inaliénables, permet de se dessaisir de pièces qui, avec le temps, se révèlent faibles ou décevantes. Quentin Bajac, commissaire de l’exposition, donne l’exemple d’une peinture de Degas dont la vente a permis l’acquisition des Demoiselles d’Avignon, de Picasso. Le musée d’Art moderne de New York, le premier qui ait existé avec cette appellation, avait été inauguré dans le local réduit d’un vieil édifice de la Ve Avenue. En 2019, il rouvrira dans une nouvelle et spectaculaire extension architecturale de ses espaces par Diller Scofidio + Renfro. L’exposition est là pour rappeler qu’entre ces deux dates s’est constituée une collection qui, comme nulle autre, continue de rassembler des témoignages avec une fécondité apparemment inépuisable.