Le Figaro Magazine

IMMOBILIER : LE SUJET EST DÉJÀ BRÛLANT

Face au réchauffem­ent climatique, le monde de l’immobilier s’interroge à la fois sur la forme que prendront les nouvelles normes de constructi­on et l’avenir de certaines zones habitables en bord de mer et en montagne.

- JEAN-BERNARD LITZLER

Se préoccuper dès aujourd’hui de l’impact du réchauffem­ent climatique sur son patrimoine immobilier est tout sauf une lubie. La preuve ? Le groupe immobilier Icade s’est emparé de la question dès l’an dernier et a lancé une cartograph­ie précise de l’exposition au risque climatique des 2 millions de mètres carrés de locaux tertiaires et de santé que possède sa foncière. Et le grand public suit le mouvement. « Il y a trois ans encore, la transition énergétiqu­e et le réchauffem­ent ne passionnai­ent pas les foules, mais les choses ont changé », assure Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobilier­s. Et désormais les économies d’énergie ne sont plus le premier moteur pour se préoccuper du sujet. « C’est devenu une question de principe pour ces personnes qui estiment que l’on ne peut plus continuer comme avant, précise Henry Buzy-Cazaux, et il y a aussi une forte prise de conscience de l’impact de ces éléments sur la valeur présente et future d’un bien. »

Dans son état des lieux, le groupe Icade a identifié quatre grands risques qui pourront peser sur son parc immobilier en Ile-de-France : les vagues de chaleur ponctuelle­s, la hausse des températur­es moyennes, la sécheresse et les inondation­s. Les premières conclusion­s sur les bâtiments à risques sont assez surprenant­es. « Pour l’instant, nos constructi­ons identifiée­s comme les moins adaptées ne sont pas nos plus vieux bâtiments mais plutôt des constructi­ons des années 1980, utilisées notamment pour le stockage, fait remarquer Benjamin Ficquet, directeur des transition­s environnem­entales. Des structures légères, entièremen­t vitrées sans aucune considérat­ion de performanc­e énergétiqu­e et qu’il va falloir reconfigur­er. » Et pour un plus grand confort thermique, le groupe prend très au sérieux les méthodes de végétalisa­tion des toitures qui mêlent sauvegarde de la biodiversi­té et lutte contre les îlots de chaleur. Une technique qu’il utilise régulièrem­ent tout comme il se penche sur les solutions de ventilatio­n optimales des bâtiments, un progrès nécessaire dans des constructi­ons de plus en plus étanches.

« La lumière est devenue un élément incontourn­able du confort actuel et les grandes parois vitrées sont très appréciées, mais avec le réchauffem­ent il va falloir éviter de transforme­r ces logements en serres, rappelle Thierry Bièvre, PDG du groupe d’ingénierie du bâtiment Elithis. Les méthodes peuvent être technologi­ques comme les stores orientable­s automatisé­s ou rustiques avec de simples volets mais il faut désormais toujours se préoccuper des écrans solaires. » A la tête de 200 ingénieurs, il conçoit des bâtiments en pointe en matière de performanc­es environnem­entales. La tour Danube, tout juste achevée à Strasbourg, doit prouver que l’on peut allier adaptation aux enjeux climatique­s, efficacité et prix contenu. Avec un prix de constructi­on annoncé au tarif tout à fait standard de 1 300 euros le mètre carré, Elithis pense permettre aux futurs locataires des 63 logements répartis sur 17 étages d’avoir une facture énergétiqu­e nulle chaque mois. Le tout grâce à une conception optimisée et aux panneaux solaires couvrant l’immeuble.

« Il faut simplement revenir au bon sens, souligne Thierry Bièvre. La première chose à faire consiste à s’adapter à son terrain, à sa région en optimisant l’orientatio­n du logement, le choix des matériaux ou la pente du toit. » Face à de futurs pics de chaleur mais aussi à de brefs épisodes de froid intense toujours à l’ordre du jour, l’inertie du bâtiment a de nouveau la cote. On reprend goût aux gros murs épais, aux matériaux massifs qui doivent lisser les grands écarts de températur­e au lieu de compenser à coup de chauffage et de climatisat­ion.

Les spécialist­es interrogés estiment qu’il est bien trop tôt pour exclure telle ou telle région de ses choix immobilier­s car elle risquerait de devenir trop chaude. « Il ne faut surtout pas déserter le littoral et le Sud au risque de créer un désert climatique, prévient Thierry Bièvre. Il est encore temps d’agir. » Pour l’instant, les déconvenue­s sont très limitées, mais elles existent déjà. La station balnéaire de Soulac-sur-Mer (Gironde) a vu sa côte reculer de près de 60 mètres depuis 2010. Les habitants d’un immeuble menacé d’effondreme­nt ont même dû être expulsés en 2014, provoquant une chute sensible des prix

locaux, qui sont remontés depuis. « Il y a désormais une plus grande sensibilit­é au risque d’inondation, estime Henry Buzy-Cazaux. Certains propriétai­res en zone inondable ont énormément de mal à vendre même si le risque est très faible. » La question se pose avec plus d’acuité pour les achats à la montagne, mais les avis divergent. Les tenants du tout-ski ne jurent que par les stations de haute montagne tandis que d’autres estiment que l’avenir appartient aux stations mêlant activités d’hiver et d’été. Une récente étude canadienne vient ainsi de montrer que sur les 19 villes qui ont accueilli les Jeux olympiques d’hiver, seulement 10 à 11 pourraient encore les organiser en 2050. Chamonix, par exemple, sortirait de ce club mais en même temps une étude internatio­nale du réseau immobilier Knight Frank vient de classer cette même ville en tête (devant Val-d’Isère) des stations attirant les acheteurs car la clientèle apprécie ses équipement­s et ses activités toutes saisons.

« Si l’on veut choisir une localisati­on qui protège du risque climatique, il faudrait revenir aux pratiques anciennes, à l’époque où l’énergie était rare et chère, estime Jean-Marc Jancovici, ingénieur-conseil, spécialist­e du réchauffem­ent. A l’époque, on construisa­it soit à proximité des grands carrefours d’échange ou tout près des ressources de matières premières. Ce qu’il faudrait éviter, ce sont ces inventions récentes que sont les banlieues étalées et les mégapoles. » ■

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Une situation qui devrait concerner une partie des Alpes et des Pyrénées, mais qui toucherait davantage le...
Pour les stations de ski situées à basse altitude, le manque d’enneigemen­t l’hiver pourrait devenir chronique d’ici à une trentaine d’années. Une situation qui devrait concerner une partie des Alpes et des Pyrénées, mais qui toucherait davantage le...
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