DÈS LA FIN OCTOBRE, LA NEIGE ENVELOPPE L’ÎLE D’HOKKAIDO
Derrière les grandes baies vitrées, face au volcan cotonneux, les flocons tombent comme une nuée de plumes blanches. Une neige vaporeuse et luxuriante, d’une extraordinaire légèreté. Attablé au café, les coudes sur la grande table d’hôtes de bois blond, Aïko, un skieur venu de Tokyo, balaie du regard la salle bondée. Ambiance jeune, stylée et cosmopolite. Son bonnet de laine enfoncé jusqu’aux sourcils, il avale une gorgée de Sapporo Beer, la célèbre bière locale. « Regardez autour de vous : Niseko c’est une “bulle”, pour moi ce n’est pas le Japon. Ce sont principalement les étrangers qui viennent skier ici ; les Japonais, même s’ils ont accueilli deux fois les JO d’hiver, ne sont pas des mordus du ski ; vous en croiserez peu sur les pistes. » Et pourtant, pour les Occidentaux que nous sommes, le ski à Niseko est unique.
Ici, pas d’immenses forêts de sapins, pas de relief abrupt ni de sommets vertigineux, pas de refuge d’altitude, ni de chocolat chaud ni de vin à la cannelle sur les pistes, et encore moins de fondue ni de raclette… On skie sur des pistes à une altitude qui varie de 300 à 1 308 m (point culminant), sur une neige aérienne comme un nuage. On slalome entre les bouleaux et les cerisiers, face au mont Yotei, « le Fujiyama d’Hokkaido ». On se réchauffe avec une tasse de matcha latte dans une ravissante maison de thé, avant de se baigner dans l’eau chaude des onsens, ces sources thermales volcaniques aux vertus multiples. On se régale de fruits de mer, poisson cru et autres spécialités locales comme le crabe des neiges. On trinque au saké tiède et au whisky japonais, au Bar Gyu, le surprenant « bar frigo ».
Rien à Niseko n’évoque l’art de vivre à la montagne, tel qu’il est pratiqué en Europe ou en Amérique. Et c’est là tout son charme.
Situé sur Hokkaido,
l’île la plus septentrionale du Japon, Niseko se trouve dans un parc volcanique, à 100 km au sudouest de Sapporo et à 35 km des côtes de la mer du Japon. Lové sur le flanc de la montagne Niseko Annupuri, Niseko United (communément abrégé en Niseko) est un domaine skiable qui regroupe quatre stations principales interconnectées : Grand Hirafu, Niseko Village, Hanazono et Annupuri. A l’origine, il y avait deux villes blotties dans la plaine, Niseko-cho et Kutchan-cho, mais pas de stations de ski sur les versants de la montagne. En 1961, les premières remontées mécaniques sont installées entre les deux villes, à Hirafu. En 1972, la station d’Annupuri est inaugurée, suivie dix ans plus tard par Niseko Village, connu alors sous le nom d’Higashiyama. La première télécabine, elle, ne date que de 1986. Autant dire que quand
les skieurs australiens et néo-zélandais débarquent à la fin des années 1990 et au début des années 2000, ils ne trouvent pas grand-chose à part un enneigement exceptionnel, une poudreuse unique au monde, des petites auberges dans des maisons typiques de la campagne japonaise, où l’on doit se contenter d’un bol d’udons et d’une coupelle de ramens au crabe pour dîner. Greg, un quadra australien, se souvient : « Après le 11 Septembre, les formalités pour entrer aux Etats-Unis - où nous allions rider - se faisant plus compliquées, nous avons cherché de la bonne neige plus près de chez nous. Hokkaido est face à la Sibérie. Quand les masses d’air très froid venant du continent rencontrent les courants humides de la mer du Japon, cela crée une neige particulièrement sèche et légère, composée à 8 % d’eau et 92 % d’air, qui tombe à profusion sur les reliefs de l’île. Sur le Niseko Annupuri, nous avions trouvé notre graal. » Une communauté de fans de glisse, free riders et snowboarders, commence à s’installer, générant une activité économique plus importante. Des commerces et des hébergements nouveaux voient le jour. Kristian Lund, le rédacteur en chef de Powderlife – un magnifique coffee table magazine consacré à Niseko –, raconte comment le regard des villageois sur les étrangers a changé. Il y a dix ans, quand il a fondé son journal, les Japonais du cru, confrontés à l’altérité, adoraient le questionner. Aujourd’hui, plus personne ne se retourne sur son passage. La métamorphose, opérée il y a une vingtaine d’années, s’est accélérée en dix ans. Outre les remontées mécaniques, hôtels, chalets, restaurants, bars et concept stores ont poussé comme des champignons à Hirafu, le centre névralgique du domaine. Les architectes les plus célèbres du Japon, tels Tadao Ando, Kengo Kuma ou Shigeru Ban y ont apposé leur marque. L’immobilier s’envole. Le domaine s’inscrit sur la carte internationale des destinations de ski trendy. Mais qui vient skier à Niseko ? « Un tiers des skieurs est australien et kiwi, un deuxième tiers est composé d’expatriés – Anglais, Français, Américains, Allemands, Canadiens, Autrichiens… qui ont une véritable culture des sports d’hiver - et le dernier tiers se compose de riches Asiatiques – Chinois, Singapouriens, Hongkongais, Malaisiens… et, bien sûr, de Japonais », nous dit l’investisseur Nicolas Gontard. Ce Français, un entrepreneur expatrié à Hongkong, est tombé sous le charme de Niseko en 2002. Avec ses deux associés scandinaves, passionnés →