Le Figaro Magazine

LE SUCCÈS DES PETITES MARQUES DE PARIS

Bien ficelés en termes de style comme de prix, les nouveaux labels français de mode masculine gagnent des points en proposant des produits sans fioriture pour le quotidien.

- PAR VALÉRIE GUÉDON

Le 23 septembre, Alexandre Mattiussi, le styliste français derrière le label Ami révélait une collaborat­ion avec le géant américain Gap. D’abord disponible­s aux Etats-Unis, ses pulls à grosses rayures bicolores, jeans blancs à coupe droite et surchemise­s en laine à carreaux à des prix étudiés – entre 60 et 196 € - se sont vendus en une journée. Quelques jours plus tard, même succès en France ! « Les hommes sont terrorisés par le côté élitiste de l’industrie de la mode, assène le designer prônant ce dressing contempora­in sans esbroufe depuis 2010. Ils veulent un produit stylé et, surtout, calibré pour leur quotidien. S’associer à la puissance de feu et aux codes démocratiq­ues de Gap était l’occasion de rendre Ami encore plus accessible. » Dans le même temps, Officine Générale, marque créée en 2012 par Pierre Mahéo, truste les rayons des grands magasins et les ventes du site Mr Porter avec son vestiaire de classiques revisités. Ces deux Parisiens ont ouvert une brèche dans le vestiaire de l’homme avec une mode bien faite et accessible. Très vite, d’autres s’y sont engouffrés - Harmony Paris, Cuisse de Grenouille, Commune de Paris - ou se sont reposition­nés sur ce créneau - Balibaris et Editions M. R (ex-Melinda Gloss). « En tant que client, témoigne

Paul Szczerba, fondateur de Balibaris, l’offre des enseignes bon marché me semblait caricatura­le. Je cherchais un beau vêtement durable sans pour autant me ruiner, que je ne trouvais pas. A partir de ce désir, j’ai construit mon business model. » Le trentenair­e diplômé d’HEC met le pied à l’étrier avec une ligne de cravates. Saison après saison, il prend le temps d’apprendre les rouages de l’habillemen­t et de construire un « vrai » prêt-à-porter. « Le dressing masculin est très codifié et normé. Alors, le bien-aller est fondamenta­l pour qu’un homme craque. » Aujourd’hui, sa petite « start-up de la mode » compte une centaine d’employés et près d’une quarantain­e de boutiques. Les fondateurs de Hast, trois autres jeunes cadres dynamiques, sont tout aussi pragmatiqu­es. « La chemise faisait partie de la tenue de travail à la ville. Or, il faut en posséder au moins cinq pour pouvoir en changer tous les jours. A la fin, cela représenta­it une somme difficilem­ent négociable entre, d’un côté, les modèles peu chers de piètre qualité et, de l’autre, ceux des griffes de luxe, explique Samy Ziani qui s’est associé, en 2012, avec Emmanuel Denieau et Thomas Diez, à la sortie de leurs écoles de commerce. Nous avons saisi que ce segment intermédia­ire de marché ignoré par les autres, nécessitai­t de réduire au maximum les intermédia­ires entre le fabricant et le distribute­ur. » Résultat, les parfaites liquettes en popeline de Hast sont uniquement vendues par leurs soins, sur internet, à partir de 54 €. En quelques années, Ami et Officine Générale ont multiplié les points de vente. Déjà trois à l’étranger (Londres, Tokyo et Hongkong) pour le premier, tandis que le second ouvre, cette semaine, sa première échoppe dans la capitale britanniqu­e. Pierre Mahéo glisse d’ailleurs, en interview, qu’il double ses bénéfices chaque année. Balibaris - avec l’aide, depuis 2016, du fonds d’investisse­ment Experience­d Capital Partners - compte bien ouvrir une vingtaine de points de vente supplément­aires et se développer à l’étranger d’ici à 2018.

Et comme un effet domino,

fleurissen­t un peu partout des magasins multimarqu­es pour homme qui (re)mettent l’accessibil­ité au coeur de leur sélection. A Paris, les garçons se pressent dans les quatre boutiques Sauver le Monde des Hommes ou La Garçonnièr­e, pop-up store de 250 m2 en plein coeur du IIe arrondisse­ment qui, grâce à sa sélection abordable, n’a finalement jamais baissé le rideau. « Nous nous considéron­s comme un commerce de proximité, analyse Thibault Fulchiron, un des fondateurs. Beaucoup de nos clients trouvent les autres boutiques impersonne­lles. →

→ La nôtre se veut conviviale, sorte de lieu de vie dans lequel chacun se retrouve. » Souvent autour du baby-foot au centre de cet espace où se côtoient un barbier, un café, un coin librairie et un fleuriste.

Ces diverses petites entreprise­s de Paname ne connaissen­t pas la crise après être parties d’un constat simple : « Les hommes, par nature, ne s’intéressen­t pas à la mode », lance Franck Malègue, à l’origine d’Eclectic, un label de tailoring nouvelle génération, façonné dans des matières high-tech (souvent dérivées du sportswear) dans les règles de l’art en Italie. « S’ils reconnaiss­ent l’élégance d’une pièce réalisée par un maître tailleur, ils recherchen­t surtout des vêtements de la vie courante, polyvalent­s et faciles d’entretien. Ils entretienn­ent un rapport affectif avec leurs habits et les portent à l’envi, les

UN EXCELLENT RAPPORT QUALITÉ, STYLE ET PRIX

usent jusqu’à la corde puis veulent racheter les mêmes modèles. » Venu de la cosmétique, cet « ingénieur de la veste » tel qu’il se définit, a ouvert sa deuxième boutique à la rentrée au 17 rue Marbeuf, dans le VIIIe arrondisse­ment.

Avec ses campagnes de communicat­ion ultraléché­es, l’industrie du luxe se couperait-elle de la réalité ? De la vie d’un M. Tout-le-Monde qui ne se reconnaît pas dans les looks des mannequins sur les podiums et se méfie de ses tarifs exorbitant­s. « Aujourd’hui, personne ne veut plus payer le prix fort, affirme Uriel Karsenti de Maison Standards, un label d’essentiels pour homme et femme réalisant 60 % de ses ventes auprès de la gent masculine. La mode a brouillé les repères des consommate­urs. Les escomptes peuvent atteindre 70 % pendant les soldes. Sans parler des promotions tout au long de l’année sur internet. Certaines marques se placent dans la fourchette haute du marché pour se donner une image plus “luxe”, mais le produit ne suit pas. A contrario, avoir un excellent rapport qualité, style et prix est perçu comme un gage d’authentici­té. Pour nombre de clients, la fabricatio­n d’un vêtement prévaut sur le nom inscrit sur l’étiquette. » A l’instar de l’agroalimen­taire et de sa slow food, proposer une mode pleine de bon sens, éthique et durable, fait recette face à la surenchère de tendances, d’images et de logos d’un secteur qui s’emballe. ■

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A l’origine label de cravates, Balibaris habille aujourd’hui les hommes de la tête aux pieds.
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Depuis 2012, la marque Officine Générale réinterprè­te les classiques masculins dans des matières de grande qualité.
 ??  ?? En ciblant un public moins élitiste et plus large que les créateurs purs et durs, des marques de mode masculine comme Balibaris (à gauche) ou Ami par Alexandre Mattiussi (ci-dessous) ont rapidement trouvé leur clientèle.
En ciblant un public moins élitiste et plus large que les créateurs purs et durs, des marques de mode masculine comme Balibaris (à gauche) ou Ami par Alexandre Mattiussi (ci-dessous) ont rapidement trouvé leur clientèle.
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