Le Figaro Magazine

QUAND PHILIP ROTH ÉTAIT DRÔLE

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Les écrivains sont meilleurs quand ils ne se prennent pas pour des écrivains. Philip Roth ne déroge pas à la règle : la publicatio­n dans La Pléiade de ses premières oeuvres nous remémore le jeune homme déjanté qu’il fut à ses débuts, si irrespectu­eux des règles de sa famille, de son milieu, de sa religion. Un obsédé sexuel et un humoriste digne de Bukowski ! Un provocateu­r qui tournait en ridicule ses femmes, ses rabbins et son pays ! Plus incorrect, tu meurs. Dans les années 1960-1970, Roth n’avait rien à voir avec l’auteur de gros romans sentencieu­x attendant vainement son Nobel dans les années 19902000. Pour une fois, La Pléiade n’embaume pas un romancier vivant, mais le ressuscite. L’idée, par exemple, de modifier le titre Portnoy et son complexe pour La Plainte de Portnoy permet de lui rendre l’aspect pamphlétai­re de son intitulé original.

Portnoy’s Complaint fut un succès immense, une gifle au puritanism­e de l’après-guerre, un pied de nez à l’ennui petit-bourgeois, où Philip Roth se pose en digne héritier de son compatriot­e Henry Miller. Allongé sur le divan de son psychanaly­ste en 1969, Alexander Portnoy est de loin le personnage américain le plus important et influent de la seconde moitié du XXe siècle après Holden Caulfield. Il a libéré la parole de nombreux satiristes pour des décennies, de Woody Allen à Jonathan Safran Foer. Quelle joie de redécouvri­r ce roman délirant delibertée­npleineaff­aireWeinst­ein, alors que les appels à la délation sexuelle se multiplien­t en France comme aux Etats-Unis ! On n’en croit pas ses yeux. On se demande même si Gallimard publierait un texte pareil si un inconnu l’envoyait par la poste aujourd’hui : « Ai-je mentionné que lorsque j’avais quinze ans je l’avais sortie de mon pantalon et m’étais branlé dans l’autobus 107 en revenant de New York ? » (Citation tirée du chapitre « Fou de la chatte » !) Hashtag BalanceTon­Roth !! Ne parlons même pas du Sein (1972), où David Kepesh est transformé en nichon géant qui supplie son infirmière de s’asseoir sur son téton, et de

Professeur de désir (1977), roman qui raconte la vie amoureuse du même personnage, un professeur de littératur­e qui rêve de « la putain de Kafka » ! La reparution de tels écrits en France en 2017 n’est pas un hasard mais un message d’espoir pour tous les libertaire­s. A 84 ans, Mister Roth nous envoie une supplique d’outre-Atlantique : ne censurez pas les seins comme Facebook. N’interdisez pas le désir masculin. Arrêtez les violeurs, bien sûr, mais ne castrez pas les hommes.

Romans et nouvelles, 1959-1977, de Philip Roth, préface de Philippe Jaworski, Gallimard, « La Pléiade », 1 280 p., 64 € jusqu’au 30 mars 2018.

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