“NOUS AVONS LE SENS ABSOLU DU DÉTAIL ”
Le directeur de Château Cheval Blanc, à Saint-Emilion, raconte comment le domaine s’est toujours imposé, même en dehors des classements officiels.
Le Figaro Magazine – Comment expliquez-vous la notoriété particulière, un peu à part, de Cheval Blanc au sein de l’AOC saint-émilion ? Pierre Lurton –Nous avons des comportements rive droite–rive gauche à Cheval Blanc par notre diversité de sols, qui nous permet de jouer avec des matières premières différentes, et par l’atypicité de notre cépage dominant, le cabernet franc, notre signature, majoritaire chez nous (60 %) mais pas au sein de l’AOC, qui font que nous avons vraiment une place à part. Géographiquement, nous sommes un peu excentrés puisque nous sommes en bordure de l’appellation pomerol. Sur certains millésimes, nous pouvons avoir une « pomerol attitude » puisque le merlot – cépage de prédilection de pomerol – constitue 40 % de notre terroir, et, sur d’autres millésimes, une inclinaison plus médocaine avec des assemblages dominés par le cabernet franc. Ce cépage épice le merlot, le complexifie et l’invite à voyager dans le temps en lui offrant une aptitude au vieillissement fabuleuse. Commercialement, nous avons une politique de prix à part qui s’explique par un désir très fort pour la marque. Notre notoriété est aussi due à notre capacité à produire et à diffuser (100 000 bouteilles de Cheval Blanc ont été produites en 2015).
En quoi le rachat en 1998 par Albert Frère et Bernard Arnault a-t-il marqué un tournant ? Le groupe LVMH nous a donné les moyens
d’aller au bout des choses sans nous in- fluencer. Nous suivons la politique du groupe tout en gardant notre individualité. Cela a renforcé nos moyens, et nous a permis d’effectuer un travail viticole extrêmement poussé, avec un sens absolu du détail et une gestion encore plus précise du lieu pour en extraire toute l’essence. Cela nous amène à une certaine perfection qui fait que Cheval est jugé exceptionnel.
Avec une telle aura, comment conserver le lien avec l’appellation ?
Nous faisons partie intégrante de SaintEmilion avec une logique de premier grand cru classé. Nous représentons l’élite, parmi d’autres. Nous nous identifions par exemple parfaitement bien à Ausone, autre cru historique, sur un terroir différent.
Quelle place le classement a-t-il chez vous ?
Le classement des terroirs de Saint-Emilion date de 1954, mais déjà, à la fin du XIXe siècle, Cheval Blanc avait une notoriété équivalente aux grands crus classés 1855 de la rive gauche. Il s’inscrivait dans l’histoire à travers ses millésimes, les médailles obtenues lors des expositions universelles ou par le fait qu’il était servi dans les palais et figurait aux menus de repas officiels qui ont marqué l’histoire. Au-delà du classement, Cheval existe par luimême.■ PROPOS RECUEILLIS PAR GABRIELLE VIZZAVONA