Le Figaro Magazine

“LE PUBLIC A DONNÉ À NOTRE VIN SA GRANDEUR ”

Le propriétai­re de Château Haut-Marbuzet, à Saint-Estèphe, revient sur le statut à part de son domaine.

- Château Haut-Marbuzet.

Le Figaro Magazine – Comment pourrait-on définir le Château Haut-Marbuzet ? Henri Duboscq – J’ai toujours dit que Haut-Marbuzet était populaire. On m’a répondu qu’à ce prix-là, ce n’est plus vraiment populaire. Tout dépend du sens que l’on donne au mot. Je suis à la recherche du public depuis l’âge de 18 ans, ce qui fait que j’ai plus de cinquante-cinq ans de recherche du consommate­ur. J’ai été le premier à ouvrir mes portes, à une époque où cela ne se faisait pas. Où que vous alliez en France, toutes catégories sociales confondues, quelqu’un connaîtra le HautMarbuz­et car le grand-père, le parent ou l’ami sera venu à la propriété. Le public a fait de Haut-Marbuzet ce qu’il est devenu. C’est lui qui a donné au vin sa grandeur. Je dis souvent que je ne suis pas le meilleur mais que je suis sans doute le préféré.

Comment expliquer votre succès auprès du public, comparativ­ement à d’autres domaines qui, eux, sont classés ?

Quand Bonaparte, de retour d’Italie, est présenté au directoire exécutif, il demande à son conseiller Talleyrand comment se vêtir. « Votre petite redingote grise. A travers tous ces habits chamarrés, on ne remarquera que vous », lui conseille-t-il alors. Quand vous n’êtes pas classé au milieu des crus classés, finalement, on ne voit que vous. S’il y avait un classement, je serais un de plus, alors que je suis celui qui devrait être classé mais qui ne l’est pas.

Saint-Estèphe est réputé comme l’une des appellatio­ns les plus prestigieu­ses du Haut- Médoc. Qu’est-ce qui rend ses vins uniques ? Elle a le privilège d’être l’une des quatre grandes AOC du Médoc avec margaux, saint-julien et pauillac. Nous sommes privilégié­s de nature par la présence de ces croupes de graves au sein desquelles le soleil semble rayonner du centre de la terre. Ces quatre AOC s’expriment de façon différente par la qualité de leurs tanins. A Margaux, ils sont magnifique­ment féminins pour des vins tendres et distingués comme une grande dame, à Saint- Julien, ils donnent l’impression d’une féminité plus dirigiste, à Pauillac, ils sont d’une générosité virile, et, à SaintEstèp­he, ils sont tellement puissants et virils qu’on nous appelle les machos des vins du Médoc, avec ce que cela comporte comme avantages et inconvénie­nts. Ma priorité a été de devenir « amignonneu­r » de virilité excessive : je donne une éducation à des tanins qui sont austères. Mon vin a la chair des bourgognes et la finesse des bordeaux. Le plus grand bonheur de ma vie a été de faire le vin que j’aimais, même si longtemps j’ai été en marge. Certains ont même dit que j’étais « la fille de joie des vins du Médoc » et les plus raffinés que j’étais « le vin à la jupe fendue » au lieu de me traiter de p… directemen­t ! Autant de jugements qui longtemps m’ont peiné, mais que j’ai fini par prendre pour un compliment. Car, pour moi, le but du vin, c’est la volupté, et en matière de volupté, j’ai toujours eu de meilleurs résultats avec les jupes fendues qu’avec les douairière­s hautement corsetées.

■ PROPOS RECUEILLIS PAR GABRIELLE VIZZAVONA

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