“NOUS VOULONS DÉMOCRATISER YQUEM ”
La directrice technique de Château d’Yquem, à Sauternes, évoque l’avenir de son vin superstar.
Le Figaro Magazine – Comment expliquez-vous l’exceptionnelle résonance d’Yquem ? Sandrine Garbay – C’est un nom, une propriété mythique. Je pense que cela est d’abord lié à l’histoire. Avant le rachat en 1999 par Bernard Arnault, Château d’Yquem appartenait à la famille de LurSaluces depuis 1785. Cela a permis une grande pérennité à travers les différentes générations. La famille avait mis en place une politique de sélection très stricte pour faire le meilleur vin possible et cette exigence de qualité a perduré. Au-delà d’être situés sur un sol extraordinaire, nous avons des rendements extrêmement faibles. Nous produisons un verre de vin par pied de vigne, soit 10 hectolitres par hectare. Cela est lié au phénomène de concentration, la pourriture noble faisant perdre beaucoup de jus aux raisins, mais aussi à des sélections très rigoureuses. Avec un grand vin rouge, on peut tomber sur de mauvaises bouteilles, mais chez Yquem cela n’arrive jamais. Il traverse les âges, c’est le vin de garde par excellence. Yquem est capable de vieillir 100, 150 ans, dans la limite de résistance du bouchon. Et la couleur dorée fait vraiment rêver les gens.
En quoi le classement historique de 1855, a-t-il joué en votre faveur ?
Le classement de 1855 est effectué sur la base du prix des vins. C’est un peu trivial mais, à l’époque, Yquem était le plus cher des vins de Bordeaux. Cela était déjà lié à sa qualité exceptionnelle, mais aussi au grand-duc Constantin, frère du tsar de Russie, qui avait acheté un fût d’Yquem 1847 à un prix astronomique, faisant grimper le cours du vin. Cela explique que le Château bénéficie d’un classement unique au rang de premier cru supérieur classé.
Yquem n’impressionne-t-il pas un peu trop ?
C’est parfois frustrant d’avoir cette image de vin iconique que l’on ne peut pas toucher. Les gens mettent religieusement leur bouteille dans la cave et l’y laissent pendant très longtemps, mais nous faisons les vins aussi pour qu’ils soient bus. Nous voulons démocratiser Yquem, le rendre plus accessible.
Par quoi cela passe-t-il ?
D’un point de vue technique, nous avons raccourci l’élevage depuis 2005 pour préserver le fruit au maximum et garder des notes plus fraîches qui font que, quand on met le vin en bouteille, on a une bombe de fruit. Ensuite, en montrant qu’on peut le boire à l’apéritif, avec des fruits de mer ou de la cuisine fusion. Et enfin, en arrêtant le yoyo des prix. Ce n’est pas pour nous. Un niveau de qualité très élevé ne justifie pas de faire varier les tarifs de façon trop forte. Yquem ne deviendra jamais un objet de spéculation.
■ PROPOS RECUEILLIS PAR GABRIELLE VIZZAVONA