QUAND LA FRANCE SE RÉCHAUFFERA
D’ici à 2050, l’élévation des températures pourrait bouleverser le paysage français et nos habitudes de vie, avec des conséquences sur l’agriculture, le logement, l’énergie et le monde animal. Voici comment.
Malgré le bourdonnement incessant de la ville, de nombreux Parisiens ont ouvert en grand les fenêtres de leurs logements. Il est 4 h 30 du matin et il fait déjà 24 °C. Nous sommes à Paris, le dimanche 30 octobre 2050. Comme toujours depuis maintenant une vingtaine d’années, l’été s’étire toujours un peu plus et l’automne semble encore très loin. Autrefois gris et pluvieux, novembre a des allures de début septembre. Les hivers sont de plus en plus doux et les vagues de chaleur qui plombent désormais systématiquement les mois de juillet et d’août ont été une nouvelle fois particulièrement éprouvantes. La France s’est lentement habituée à l’élévation progressive de ses températures. La plupart de ses habitants se sont dotés de systèmes de climatisation pour lutter contre la fournaise et beaucoup ont bénéficié de l’aide de l’Etat pour améliorer l’isolation de leurs habitations.
Le paysage de notre pays n’est plus tout à fait le même, mais sa métamorphose est subtile. La France n’est pas sous les eaux, mais l’élévation du niveau de la mer, en Camargue, en Charente, en Vendée, en Gironde, dans les Hauts-de-France et le Cotentin menace sérieusement plusieurs villes et espaces naturels du littoral. Sur l’île de Sein (Finistère) désormais à fleur d’eau, la situation est très inquiétante pour certains habitants menacés qui songent à partir. La crainte des inondations (élévation de 1 mètre du niveau des océans à l’horizon 2100 si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites d’ici là) a contraint de nombreuses municipalités côtières à modifier leurs plans d’occupation des sols (POS) et à modifier leurs règles d’urbanisme. Le paysage agricole n’est plus celui des années 2000, avec ses immenses champs à perte de vue. Des vignes toujours plus nombreuses s’épanouissent en région parisienne et en Normandie.
A cause du manque d’eau, les grandes exploitations de maïs ont peu à peu disparu des Landes et du Sud-Ouest et ont été remplacées par des parcelles plus petites où céréales et légumineuses dominent. La Beauce meurt de soif et a dit adieu à son blé fourrager. Les haies ont fait leur retour et, avec elles, le petit gibier de plaine qui avait disparu. Au sud de la Loire, les incendies de forêts sont toujours meurtriers et destructeurs et les forestiers tentent de trouver des solutions pour accompagner le développement du pin maritime dont la zone de répartition ne cesse de s’étendre. Dans les Alpes, la mer de Glace n’existe plus que sur de vieilles cartes postales et seules les plus hautes stations peuvent encore espérer avoir de la neige en hiver. Inexorablement, la France se prépare à devenir un pays méditerranéen. Bien entendu, ce scénario n’est pour l’instant qu’une projection. « Mais il est plus que probable que la France de 2050 ressemble à cela, assure le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). La conférence de Paris de 2015, ou COP21, s’est fixée pour objectif de contenir le réchauffement entre 1,5 et 2 °C d’ici à 2100 par une limitation des gaz à effet de serre. Mais si rien n’est fait, au rythme actuel, nous sommes nombreux à penser que nous ne disposons plus que de vingt à vingtcinq ans avant d’atteindre un point de non-retour. »
De fait, si l’on en croit les très sérieuses études du Centre national de recherches météorologiques (CNRM) et de l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL), en collaboration avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), qui s’appuient notamment sur le cinquième rapport du Giec, la France doit s’attendre à l’horizon 20212050 à « une hausse des températures moyennes, toutes saisons confondues, comprise entre 0,6 et 1,3 °C. » Mais « en été, dans le sud-est de la France, les écarts pourraient atteindre 1,5 à
DES ÉTÉS BRÛLANTS ET DES HIVERS DE PLUS EN PLUS DOUX
2 °C. » Parallèlement, précise le ministère de la Transition écologique et solidaire, notre pays devrait connaître « une augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été comprise entre 0 et 5 jours sur l’ensemble du territoire, voire de
5 à 10 jours dans des régions du quart sud-est. Et une diminution des jours anormalement froids en hiver sur l’ensemble de la France métropolitaine, entre 1 et 4 jours en moyenne, et jusqu’à 6 jours au nord-est du pays. »
« D’ici à 2050, l’éprouvant été 2017 pourrait être un été normal dans le sud de l’Europe », avance Serge Planton, chercheur au CNRM/Météo-France. Pire encore : « Les désastres liés au changement climatique, tels que les canicules, pourraient aussi affecter deux tiers des Européens d’ici à 2100 », selon une étude publiée dans la revue The Lancet Planetary Health. Tout aussi pertinent, d’après l’Institut suisse pour l’étude de la neige et des avalanches et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, le manteau neigeux hivernal des Alpes réduirait de 30 % d’ici à la fin du siècle, et cela même si la hausse de la température mondiale est limitée à 2 °C. Dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre ne diminueraient pas, « la réduction atteindrait jusqu’à 70 % ». Particulièrement exposée, l’agriculture française sait qu’elle va devoir faire face. D’après l’Académie américaine des sciences, « chaque augmentation de 1 °C de la température moyenne dans le monde réduirait d’environ 6 % le rendement du blé. Pour le riz, la baisse serait de 3,2 % et pour le maïs, de →
→ 7,4 %. » Autre problème soulevé, et non des moindres, l’élévation des températures risque aussi de peser sur l’humidité des sols. Selon le rapport ClimSec de Météo-France, une aggravation continue des sécheresses dites agricoles semble très probable au cours du XXIe siècle sur l’ensemble du pays, avec une « accentuation rapide » du phénomène à partir des années 2050, tandis que le nord de la France pourrait être plus particulièrement touché pendant l’automne et l’hiver.
De son côté, le monde viticole est déjà très conscient de ce qui l’attend. « Car même une faible hausse des températures peut affecter grandement un vignoble, assure Alexandre Bain, vigneron à Tracy-sur-Loire (Nièvre). Tous les domaines risquent d’être concernés par le changement climatique qui peut rendre les vins plus puissants et moins complexes avec des taux d’alcool plus élevés ainsi qu’un manque d’acidité. » Selon les régions, les effets pourront être différents avec, au sud, un manque d’eau et de plus grandes sécheresses et, au nord, une multiplication des accidents météorologiques (grêle, gel, pluie). Parmi les scénarios évoqués, certains tablent sur un bouleversement des AOC, une migration de certains cépages déjà existants et la plantation de nouveaux, mieux adaptés aux températures plus chaudes ou plus résistants aux maladies de la vigne, comme l’oïdium et le mildiou, favorisées par l’élévation des températures.
EN PREMIÈRE LIGNE, LE MONDE VITICOLE CHERCHE DES SOLUTIONS
Autre problème pour les cultures, des insectes nuisibles comme la chrysomèle du maïs ou la mineuse de la tomate pourraient menacer notre pays à la faveur d’hivers moins froids. La chenille processionnaire du pin, allergène et jusque-là cantonnée au sud de la France, est, elle, déjà largement présente au nord de la Loire et ne cesse de progresser, tout comme le moustique tigre, potentiellement porteur de la dengue et du chikungunya.
« Comme tous les milieux naturels en France, la forêt est aussi très concernée par la question climatique, assure Myriam Le Gay, chef du département recherche, développement, innovation à l’Office national des forêts (ONF). Certaines espèces implantées depuis des centaines d’années et jusqu’alors prospères deviennent, dans certaines zones, inadaptées et vulnérables au climat actuel. C’est notamment le cas du chêne pédonculé dans la forêt de Vierzon ou des sapinières méridionales dans l’Aude. Mais le temps des arbres n’est pas celui des hommes. Si tous les experts s’accordent sur la réalité du réchauffement climatique, beaucoup d’incertitudes demeurent. Il est encore difficile de formuler des conclusions, mais il est certain, compte tenu du lien étroit que les forêts entretiennent avec le climat, que de tels changements aussi rapides ne pourront se faire sans conséquences. »
En mer, sur les côtes bretonnes par exemple, balistes et sars, des poissons de Méditerranée, font désormais partie du paysage local, tout comme la blennie paon. « Inconnu en →
→ Bretagne jusqu’en 1986, selon les travaux de la station de biologie marine du Muséum national d’histoire naturelle, à Concarneau (Finistère), ce poisson semble constituer un bon révélateur de la modification du climat marin en France. » Selon l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), les chevreuils, confrontés à des printemps de plus en plus précoces, pourraient voir leur population diminuer. Autres effets inattendus : le réchauffement devrait rendre les décollages et les atterrissages des avions plus difficiles en raison du manque de portance lié à la chaleur. L’augmentation de la température des eaux et la réduction du débit des cours d’eau, dans lesquels les centrales nucléaires puisent pour se refroidir, auront aussi un impact sur leur fonctionnement.
« Dans l’idéal, si nous voulons éviter tout cela et sans jouer inutilement les Cassandre, lance Jean Jouzel, il faudrait atteindre le pic d’émissions de gaz à effet de serre en 2020, puis entre 2020 et 2050 les diviser par trois à l’échelle planétaire. C’est difficile mais ce n’est pas encore impossible. Tout le monde peut encore agir. A travers des gestes, des décisions quotidiennes et simples en matière de choix des moyens de transport, d’isolation de l’habitat, d’alimentation, etc., nous pouvons nous-mêmes influer sur une bonne moitié des émissions en France. Beaucoup d’entreprises aussi ont compris qu’elles ont une carte à jouer en termes d’innovations technologiques. » Réalité inéluctable, selon l’immense majorité des experts et scientifiques internationaux, le réchauffement climatique pourrait aussi ne pas être une fatalité. ■