Le Figaro Magazine

L’islam radical à l’assaut de l’entreprise

Spécialist­e des questions sociales et des mutations du travail, Denis Maillard est devenu en quelques années, et presque malgré lui, un expert des problémati­ques liées à l’islam dans le monde du travail. Car c’est bien le sujet central du livre qu’il vien

- EXTRAITS CHOISIS PAR JUDITH WAINTRAUB

EXTRAITS LE FONDAMENTA­LISME MUSULMAN AU COEUR DU PROBLÈME

C’est précisémen­t d’une « neutralité peu compromett­ante » qu’a usée le ministère du Travail pour la rédaction de son guide du fait religieux. Pouvait-il agir autrement ? Non, sauf à être accusé de parti pris ou, pire, d’islamophob­ie. Car il ne faut pas se voiler la face, c’est principale­ment d’islam qu’on parle lorsqu’on évoque ce fameux « fait religieux » au travail. Il suffit d’ailleurs qu’un problème surgisse concernant une autre religion et chacun est comme soulagé ; le cas est immédiatem­ent mis en exergue comme la preuve d’un traitement égal de toutes les religions. Pourtant c’est bien l’islam qui taraude les esprits. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Quoi qu’il en soit, le déni n’est pas de mise : le fait religieux musulman doit être nommé, dépassionn­é et problémati­sé, surtout si l’on veut le comprendre et permettre aux entreprise­s d’y apporter une réponse.

QUAND LES DIRIGEANTS

DE LA RATP TOMBENT DES NUES

Fin novembre 2015. Deux semaines après les attentats de Paris et du Stade de France, la RATP est en crise. L’un des assassins du Bataclan, Samy Amimour, est un ancien machiniste de la Régie. […] En poste depuis moins d’un an, la nouvelle présidente, Elisabeth Borne, découvre alors des pratiques qu’elle ne soupçonnai­t pas et qui viennent démentir ses premières déclaratio­ns : « Aucun écart n’a été signalé depuis mon arrivée, a-t-elle martelé. Si c’est le cas, tout ce qui est sanctionna­ble doit être sanctionné. » Dans les couloirs du siège, les cadres du départemen­t bus et tramways n’en mènent pas large. Ils connaissen­t la réalité du terrain. Ils savent que, depuis quelque temps, Pavillons-sous-Bois est l’un de ces centres (il y en aurait deux autres en région parisienne) où le management a dû battre en retraite face à la force des revendicat­ions communauta­ires et religieuse­s. Pièces collective­s fermées et inaccessib­les à la direction (avec des soupçons de trafic), refus de certains machiniste­s de serrer la main aux femmes et même de toucher le volant après elles, autobus

immobilisé­s pendant que les conducteur­s font leurs prières… Les coups de canif à la sacro-sainte laïcité, règle d’airain dans les services publics, sont devenus légion […] Pourtant, dès 2005, une clause de neutralité avait été introduite dans le contrat de travail. En 2011, un premier code éthique avait même été publié. Mais l’initiative eut une portée plus symbolique que réelle. C’est l’époque où le syndicat Force ouvrière est surnommé « Force orientale » tant il apparaît poreux aux demandes communauta­ires. […] Entre le printemps 2013 et l’été 2014, Force ouvrière suspend l’adhésion de près de 200 de ses syndiqués. Motif : ces agents ne se conforment pas aux valeurs laïques de l’entreprise et du syndicat. […] Force ouvrière paiera le prix de cette décision. A la fin de 2014, le syndicat ne recueille que 9,6 % des voix et perd de peu sa représenta­tivité à la RATP. Au profit d’un nouveau syndicat apparu récemment, le syndicat antiprécar­ité (SAP-RATP). Le nouveau venu rafle plus de 50 % des voix sur deux centres bus : dans le XVIIIe arrondisse­ment de Paris et… aux Pavillons-sous-Bois, dépôt où avait travaillé Samy Amimour, le terroriste du Bataclan. Rebaptisé par certains agents le « Syndicat pour musulmans », le SAP inquiète la direction. […] En 2017, l’entreprise le reconnaît : lorsqu’un manager était alerté par un problème lié à l’affirmatio­n religieuse, sa hiérarchie lui demandait généraleme­nt de se débrouille­r pour le régler et de se concentrer en priorité sur la qualité de service. C’est en réalité autant à une banalisati­on des moeurs banlieusar­des au sein d’une partie de l’entreprise qu’à son « islamisati­on » qu’on a assisté à la RATP à partir des années 2000. […] Qu’il s’agisse des manifestat­ions de piété, des relations entre les hommes et les femmes, de l’intégratio­n de nouveaux salariés ou encore de la peur du terrorisme, la RATP condense dans une même entreprise toutes les thématique­s propres à l’expression de la religion au travail. […] Depuis les attentats, les dirigeants ont pris la mesure de la situation. […] Interrogés, certains agents décrivent leurs collègues notoiremen­t religieux plus discrets désormais et moins enclins à revendique­r des aménagemen­ts spécifique­s à leur croyance.

LA POLÉMIQUE SUR LE BURKINI S’INVITE DANS L’ENTREPRISE

→ La dispute s’est invitée également au sein de certaines entreprise­s, notamment les centres de vacances gérés par des entreprise­s du tourisme internatio­nal. Avant 2016, celles-ci avaient peu réfléchi aux questions religieuse­s, la liberté des clients représenta­nt jusqu’à présent la règle. C’était compter sans la « fièvre hexagonale » qui pousse alors des baigneurs à se plaindre aux responsabl­es de sites ou aux maîtres-nageurs, et à nourrir leurs commentair­es sur Tripadviso­r de remarques sur le burkini : les uns pour le dénoncer, les autres pour demander qu’on fasse respecter leur droit de se vêtir comme bon leur semble. Au-delà de nos frontières, les médias étrangers se sont également emparés de cette affaire, le cas français étant montré du doigt comme islamophob­e ou, au contraire, salué une nouvelle fois comme la pointe du combat pour la liberté de conscience. Dans certains pays comme l’Australie, des associatio­ns confession­nelles ont fait ouvertemen­t campagne contre la France !

LES JOURS FÉRIÉS EN QUESTION

Reste que les jours fériés, mais aussi le dimanche, deviennent de plus en plus source d’interrogat­ions dans le monde du travail : pourquoi la religion catholique monopolise-t-elle les jours de congé au détriment des autres religions, qui doivent se contenter des miettes que les accords d’entreprise veulent bien leur attribuer ? Jamais en retard d’une innovation, le think tank Terra Nova a proposé récemment que l’on alloue deux jours fériés aux religions juive et musulmane. Sous ses dehors de bon sens, ce genre de propositio­n montre, au contraire, que la confusion est maximale entre ce qui relève de la foi et ce qui touche aux traditions historique­s ; entre le cultuel et le culturel. Au regard des méandres de l’histoire rappelés plus haut, il serait anachroniq­ue de repeupler soudaineme­nt le calendrier avec des jours de même type accordés à d’autres religions. Si pareille décision venait à être prise, les problèmes ne manqueraie­nt pas de survenir : comment procéder ? Quels critères choisir ? Le nombre de croyants sur le territoire ? L’assiduité des fidèles aux offices ou… le désordre que ces religions provoquent ?

LE CASSE-TÊTE DU RAMADAN

Le ramadan, ce mois de jeûne annuel dans l’islam, pose d’autres questions aux entreprise­s. Elles concernent moins les jours de congé que l’aménagemen­t des horaires. Surtout si le ramadan a lieu, comme cela a été le cas ces dernières années, durant les mois d’été, marqués par de fortes chaleurs et des journées plus longues qu’en hiver : les croyants demandent généraleme­nt à arriver et à partir plus tôt, au risque de désorganis­er le service ou la production. La plupart du temps, ce type d’aménagemen­t est laissé à la libre appréciati­on des managers et des chefs d’équipe ou de chantier, qui doivent répondre à un certain nombre de contrainte­s : combien de personnes sont concernées ? La modificati­on des horaires de certains est-elle compatible avec l’activité de tous ? Le service des clients est-il correcteme­nt assuré ? Quels sont les risques courus ? Même si les aménagemen­ts demandés ne sont pas acceptés par les entreprise­s, le jeûne a quand même lieu. Il y va de l’identité religieuse du croyant. Car le ramadan est devenu depuis quelques années, comme la consommati­on halal, le marqueur de l’identité musulmane. Les croyants, souvent issus de l’immigratio­n, restaurent en quelque sorte leur fierté à travers l’ascèse d’un mois de privation. Le croyant démontre aux yeux de ses coreligion­naires sa maîtrise de lui-même, qui équivaut à une reconnaiss­ance en bonne et due forme de sa piété et de son intégratio­n dans la communauté. Ainsi, selon son rigorisme, celui-ci va s’infliger une pratique ascétique plus ou moins poussée. On voit, par exemple, régulièrem­ent fleurir sur les sites Internet spécialisé­s des questions liés à la possibilit­é ou non d’avaler sa salive durant le ramadan… Quoi qu’en disent les croyants, l’épreuve physique que représente un mois de jeûne fait souvent sentir ses effets sur le travail, surtout s’il est manuel. Et c’est avant tout la qualité de ce travail et la dangerosit­é due à la fatigue qui doivent servir de critère pour apprécier l’impact du ramadan. La religion n’a pas à interférer avec la manière de réaliser ses tâches ou les résultats de celles-ci.

HALAL OU HARAM :

LE CODE DU TRAVAIL À L’ÉPREUVE

Octobre 2010, dans le sillage de l’affaire de la crèche Baby Loup, les croyances religieuse­s au travail commencent à occuper les esprits et les journées de nombreux managers. Dans cette petite entreprise de transport et de livraison de la banlieue rouennaise, un chauffeur manutentio­nnaire refuse, au nom de sa religion, de décharger, de porter et, in fine, de livrer aux clients des caisses contenant de l’alcool. Ne pouvant lui proposer un autre emploi dans l’entreprise et pensant ramener le jeune homme à la raison, le patron conciliant demande à un imam de la commune de venir lui expliquer que son travail ne contrevien­t pas aux règles de l’islam. Le religieux s’exécute et l’affaire semble réglée. Il n’en est rien ! La semaine suivante, l’employé se présente avec un autre imam pour lequel la manutentio­n d’alcool est bel et bien proscrite… Coupant court aux querelles →

→ théologiqu­es sur les quais de chargement de ses camionnett­es, l’entreprise licencie le manutentio­nnaire au motif qu’il refuse d’exécuter son contrat de travail qui n’a pas été modifié par son employeur. […]

Ce cas est, sur le fond, totalement identique à celui que nous avons eu à connaître dans une entreprise d’aide à domicile : chargée de faire les courses de plusieurs personnes âgées dépendante­s, la salariée qui s’acquitte de cette tâche est une jeune femme voilée qui manifeste ainsi sa foi. Cette situation ne pose de problème à aucune des clientes. Un jour, au cours d’une visite de supervisio­n pour savoir si tout se passe bien, l’une d’elles fait part de son incompréhe­nsion : sur la liste de ses courses figurent parfois quelques tranches de jambon blanc. Or le jambon manque à chaque fois à l’appel et elle ne comprend pas pourquoi. Interrogée, la jeune salariée reconnaît qu’elle évite d’acheter le jambon, se justifiant par le fait que sa religion lui interdit de toucher du porc. […] De telles manières de vivre et de consommer dépassent largement les habituelle­s demandes de menus halal à la cantine de l’entreprise. Dans le monde du travail, elles rendent impossible la coexistenc­e avec les autres collègues. […] En 1987, Gilles Kepel avait proposé de parler d’une « extension du domaine du halal » pour qualifier cette transforma­tion des formes héritées de la croyance dont il voyait les premières manifestat­ions dans « les banlieues de l’islam » *. […] A cette explicatio­n toujours pertinente, nous souhaitons ajouter une autre évolution majeure liée à la modificati­on des repères de la foi telle que nous la voyons à l’oeuvre dans le monde du travail. Il s’agit d’une certaine rigidité identitair­e de ces nouveaux croyants qui les pousse à se conformer à des normes et des rites encadrant leur existence et lui redonnant un sens.

LA TENTATION THÉOLOGIQU­E

La tentation théologiqu­e est donc un piège pour l’entreprise. Car l’objet de cette dernière, nous aurons à y revenir, n’est pas la coexistenc­e des croyances, mais l’organisati­on commune du travail en vue de la production. Le piège est d’autant plus grand qu’il se trouvera toujours une personne plus instruite en théologie (ou plus radicale) pour porter la contradict­ion, comme l’a illustré notre exemple. C’est d’ailleurs la stratégie déployée aujourd’hui par les salafistes. Mettant en exergue la laïcité, ils dénient à la France le fait d’être un pays chrétien, c’est-à-dire appartenan­t aux « Gens du Livre ». Ce faisant, cet islam militant confond à dessein le cadre politique général et le cadre religieux individuel que la France distingue depuis la Révolution. Plus fondamenta­lement, le recours à l’argument théologiqu­e est une contradict­ion puisqu’il suppose de prendre appui sur des raisons religieuse­s pour en atténuer la portée. Or ce n’est pas le rôle d’un DRH. C’est en revanche celui des autorités musulmanes, qui devront tôt ou tard prendre à bras-lecorps les aspiration­s diffuses à la pureté religieuse des fidèles. Mais hors de l’enceinte de l’entreprise. Car choisir ce cadre pour y discuter théologie est bien la pire des solutions.

LE VOILE

En quoi ce voile est-il si ennuyeux ? Qui gêne-t-il réellement ? Au-delà du fait que l’immense majorité des salariés (83 %) estime que l’entreprise doit rester un endroit neutre et ne pas prendre en considérat­ion les revendicat­ions d’ordre religieux, ce sont essentiell­ement les relations avec les clients qui apparaisse­nt aujourd’hui comme le foyer central des problèmes liés au voile : les clients se plaignent. Quelles sont, dès lors, les marges de manoeuvre d’un chef d’entreprise dont la clientèle refuserait de travailler avec une de ses salariées parce qu’elle porte un voile ? Demander à la salariée de le retirer présente plusieurs risques : celui d’aller au conflit et au licencieme­nt ; celui aussi d’être accusé de discrimina­tion ou d’islamophob­ie par certaines associatio­ns. Cela est régulièrem­ent le cas avec le Collectif contre l’islamophob­ie en France (CCIF), passé maître dans l’art d’utiliser ce type de contentieu­x pour faire avancer sa cause et fournissan­t aux femmes en question avocats et conseils en communicat­ion. […]

LA BARBE

Comment différenci­er celle du salafiste de celle du hipster, ou celle du franc-maçon de celle du tatoueur gay ? Comment différenci­e-t-on un signe acceptable d’un signe inacceptab­le ? On chasse un signe par la porte, il se présente par la fenêtre, et il est rare en cette matière qu’un DRH soit sémiologue… Et parle en quelque sorte le langage des signes. Le cas s’est d’ailleurs présenté début 2016, quelques semaines après les attentats du 13novembre :quatreagen tsdesécuri­téde l’aérop ortd’Orlyont été licenciés pour avoir refusé de raser leur barbe comme le stipulait le règlement de leur entreprise. Alors que ces barbes n’avaient visiblemen­t pas poussé en une nuit, leur employeur, l’agence Securitas, s’est prudemment retranché derrière son « code référentie­l », qui stipule que les agents doivent être glabres. Les agents, pour leur part, ont fait d’eux-mêmes le lien entre barbe et religion, refusant de se raser parce que, à leurs yeux, cela portait atteinte à leur liberté religieuse.

LES FICHÉS S

« Peut-on connaître nos fichés S ? » C’est ce type de dilemme que nous confient ces derniers temps plusieurs DRH. L’un d’entre eux, responsabl­e dans une entreprise de transport, a brusquemen­t compris après l’attentat de Nice le danger potentiel lié à la libre circulatio­n de ses camions, dont plusieurs centaines sillonnent chaque jour les différente­s villes de France. Impossible pour lui de connaître tous les →

→ chauffeurs et encore moins les intérimair­es embauchés pour pallier les absences des titulaires. Récemment, l’un de ces chauffeurs a d’ailleurs découvert des documents de propagande de l’Etat islamique oubliés par son dernier occupant dans le vide-poche d’un camion. L’intérimair­e en question s’est empressé de prévenir son chef. Reste à savoir comment procéder avec le chauffeur incriminé ? « Concernant ce cas, la police nous a expliqué que le chauffeur était fiché S et particuliè­rement surveillé, explique le DRH. Ils ont pu l’arrêter grâce à la découverte faite dans son camion. Mais peut-on connaître nos fichés S ? poursuit-il, et comment identifier les signes de radicalisa­tion ? »

Depuis que l’une de ses salariées a été arrêtée pour terrorisme, la DRH d’une entreprise de soins à la personne est aux prises avec les mêmes interrogat­ions. L’onde de choc a impacté toute l’entreprise. Comment aborder cette question, en parler avec les salariés ? Comment, là aussi, détecter les signes susceptibl­es d’alerter sur la radicalisa­tion d’un salarié ? […] Il faut donc se garder de la confusion des concepts : porter un voile relève du fait religieux, faire l’apologie du terrorisme constitue la preuve d’une radicalisa­tion.

Toutefois, la tolérance à l’expression du fait religieux doit être appréciée selon le contexte de l’entreprise et le secteur dans lequel elle évolue : la production nucléaire ou le transport de voyageurs, par exemple, ne développen­t pas la même sensibilit­é au fait religieux et aux risques de radicalisa­tion qu’une enseigne de distributi­on ou une PME sous-traitante d’un groupe informatiq­ue. Chez les premières, la ligne rouge est plus vite franchie et le travail avec la police et les services de renseignem­ent est permanent.

LA LIMITE DES POLITIQUES DE DIVERSITÉ

« Vous donnez bien aux gays, pourquoi pas à nous ? » La femme qui s’adresse ainsi au DRH de cette entreprise de nettoyage, très engagée dans la promotion de la diversité, est la responsabl­e d’une associatio­n qui vient en aide aux plus démunis dans son quartier. Elle est musulmane pratiquant­e et a créé cette associatio­n d’obédience soufie avec d’autres croyantes de l’entreprise. La conversati­on, qui tourne au dialogue de sourds, a débuté quelques semaines plus tôt, lorsque cette femme a sollicité un entretien avec le directeur de la RSE (responsabi­lité sociale des entreprise­s) afin de demander une subvention pour son associatio­n. Celui-ci a refusé au motif qu’il ne pouvait pas soutenir une associatio­n confession­nelle. La femme s’entête, invoque la discrimina­tion. Elle prend argument que l’entreprise a déjà accordé des subvention­s à d’autres associatio­ns de femmes et même à une associatio­n qui soutient les gays et aurait fait défiler un char lors de la Gay Pride !… Tout cela est vrai, mais rien de religieux, lui rétorque le directeur. Il lui demande alors de rencontrer le DRH, car il ne veut rien avoir à faire avec les problèmes de croyances. En bout de course, c’est à ce dernier de « gérer le fait religieux ».

“PEUT-ON ÊTRE SOI-MÊME AU TRAVAIL ?”

Dans un monde du travail sans repères fixes, l’individu religieux va se rassurer avec les limites et les cadres que lui procure sa foi. Sauf que la stricte observance des rites qui en découlent le met au ban d’un monde commun du travail. C’est précisémen­t l’exemple que nous avons eu à connaître au mois d’avril 2017, à Paris, lors d’un forum sur la vision du travail portée par les moins de 30 ans : dans la salle, une cinquantai­ne de jeunes de toute origine et de tout statut, étudiants, actifs, chômeurs, débattent autour d’une question :

« Peut-on être soi-même au travail ? » Majoritair­ement, ils répondent par la négative et s’en désolent : on ne peut pas aller en baskets ou en survêtemen­t au travail, ce n’est pas normal ! On ne veut pas se déguiser, on veut rester nous-mêmes ! Etc. Le débat tourne en rond et porte sur des questions vestimenta­ires sans intérêt. Parmi tous ces débatteurs, plusieurs jeunes femmes sont voilées et on sent bien, petit à petit, que, derrière le port du survêtemen­t, c’est aussi la question du voile qui a du mal à se frayer un chemin dans la discussion. Tel l’éléphant au milieu de la pièce, tout le monde le voit, mais personne n’en parle… L’une des jeunes femmes va enfin crever l’abcès en énumérant toutes les discrimina­tions qui l’empêchent d’être elle-même au travail et lui interdisen­t, selon elle, l’accès à l’emploi : sa couleur de peau – elle est noire –, le choix de ses vêtements et… son voile. Tout n’est pas sur le même plan, tente-t-on d’argumenter :

« Votre peau, vous ne pouvez pas l’ôter, elle fait partie de vous, mais, votre voile, vous pouvez bien l’enlever ? – C’est exactement la même chose, rétorque-t elle. Mon voile fait partie de moi, comme la couleur de ma peau. Ma religion, c’est moi ! » Poursuivan­t la conversati­on un peu plus tard en aparté, celle-ci explique qu’elle a tenté de faire des études en ressources humaines, mais qu’elle a bien vu que sa religion, qui organise l’ensemble de sa vie, l’empêche d’être embauchée ou même d’obtenir un stage. Elle a donc décidé d’orienter ses études différemme­nt et prévoit de créer sa propre entreprise pour rester elle-même et pouvoir embaucher des femmes voilées…

 ??  ?? Chez Webhelp, opérateur internatio­nal de centres d’appels, implanté à Saint-Avold, en Moselle, le port du voile est accepté pour les salariées qui font du télétravai­l.
Chez Webhelp, opérateur internatio­nal de centres d’appels, implanté à Saint-Avold, en Moselle, le port du voile est accepté pour les salariées qui font du télétravai­l.
 ??  ?? Le halal est une contrainte pour les employeurs mais représente aussi un formidable marché. En 2009, déjà, ce Leclerc de Vitry-sur-Seine s’était adapté à la demande.
Le halal est une contrainte pour les employeurs mais représente aussi un formidable marché. En 2009, déjà, ce Leclerc de Vitry-sur-Seine s’était adapté à la demande.
 ??  ?? Les cas d’hommes refusant de conduire un métro après une femme pour des raisons religieuse­s se sont multipliés à la RATP, malgré l’introducti­on d’une clause de neutralité dans les contrats de travail en 2005.
Les cas d’hommes refusant de conduire un métro après une femme pour des raisons religieuse­s se sont multipliés à la RATP, malgré l’introducti­on d’une clause de neutralité dans les contrats de travail en 2005.
 ??  ?? L’entreprise suédoise d’ameublemen­t IKEA a choisi d’autoriser ses employés à porter des signes religieux distinctif­s. Elle en a même fait un argument dans ses campagnes de recrutemen­t.
L’entreprise suédoise d’ameublemen­t IKEA a choisi d’autoriser ses employés à porter des signes religieux distinctif­s. Elle en a même fait un argument dans ses campagnes de recrutemen­t.
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 ??  ?? Confrontés eux aussi à la montée des revendicat­ions religieuse­s, les syndicats, CGT et FO en tête, ont mis du temps à arrêter une stratégie face à l’islam rigoriste.
Confrontés eux aussi à la montée des revendicat­ions religieuse­s, les syndicats, CGT et FO en tête, ont mis du temps à arrêter une stratégie face à l’islam rigoriste.
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432 p., 10,50 €.
Quand la religion s’invite dans l’entreprise. Malaise dans le travail, de Denis Maillard, Fayard, 232 p., 18 €. *Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France, de Gilles Kepel, Seuil, « Points », 432 p., 10,50 €.

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