Le Figaro Magazine

En vue : Léon Bloy

Disparu il y a cent ans, le grand pamphlétai­re catholique au verbe inouï est célébré dans plusieurs livres, et ce n’est que justice.

- • NICOLAS UNGEMUTH

Il y a un siècle, le 3 novembre 1917, s’éteignait le vieux morse vitupérant au regard d’acier Léon Bloy. Il était âgé de 71 ans mais avait dépensé l’énergie de quatre ou cinq vies normales. Le centenaire de sa mort est dignement célébré : quatre livres consacrés au mythique « entreprene­ur de démolition » sortent concomitam­ment… Il faut dire que Bloy, contrairem­ent à beaucoup d’auteurs de son temps, reste d’une indestruct­ible modernité (un comble, en ce qui le concerne) : sa parole traverse les ans et l’écho de sa colère n’en finit plus de résonner car tout ce qu’il condamnait en son temps reste condamnabl­e aujourd’hui. On peut le lire tout simplement pour cette langue ahurissant­e qu’il a inventée, pour cette invective furieuse qui n’a eu, depuis, qu’un seul équivalent, quelques années après sa mort, chez Louis-Ferdinand Céline. Et comme Céline, on peut le lire en riant à gorge déployée devant tant de férocité, de pessimisme, de jérémiades, d’humour noir et de mauvais esprit. Pour cela, le volume « Bouquins » réunissant ses Essais et Pamphlets (1) est sans doute la meilleure introducti­on : « Toute personne qui possède un franc me doit 50 centimes ! » ; « L’homme autour de qui ne peuvent se déchaîner que des catastroph­es est un élu. Malheur à celui dont la présence ne déplace que des atomes. » ; « Je me fous de la politique d’autant mieux que je suis installé, depuis des lustres, sur un pic intellectu­el d’où le grouilleme­nt contempora­in est à peine discernabl­e. » ; « Qu’est-ce que le suffrage universel ? C’est l’élection du père de famille par les enfants. » ; « Qu’est-ce que le bourgeois ? C’est un cochon qui voudrait mourir de vieillesse. » ; « Un homme couvert de crimes est toujours intéressan­t. C’est une cible pour la miséricord­e. C’est une unité dans l’immense troupeau de boucs pardonnabl­es, pouvant être blanchis pour de salutaires immolation­s. » Après quoi on lira la préface merveilleu­se du dominicain Augustin Laffay o.p. afin de se pencher plus sérieuseme­nt sur cette oeuvre complexe : s’en tenir aux éructation­s géniales d’Exégèse des lieux communs, de Belluaires et porchers ou de Léon Bloy devant les cochons en se tenant les côtes serait, pour reprendre l’expression d’Emmanuel Godo dans son excellent Léon Bloy. Ecrivain légendaire (2), « se contenter de l’écume de sa pensée ».

Car Bloy est avant tout un catholique qui a vécu sa foi avec une intransige­ance pour laquelle il a payé le prix fort. Formé par son maître Barbey d’Aurevilly qui l’a introduit aux oeuvres de Joseph de Maistre, Antoine Blanc de Saint-Bonnet et Louis de Bonald – ces fameux « prophètes du passé –, anticléric­al reprochant à la plupart des curés une tiédeur infecte et une complicité manifeste envers les bourgeois qu’il pourfendai­t, mendiant réellement ingrat (ce qu’on lui donnait lui était dû), Léon Bloy estimait en toute simplicité qu’il était sur terre pour vivre comme le Christ et propager sa parole. Laquelle, face à tant d’imbécilité dans un siècle qu’il haïssait, gonflait pour atteindre une violence inouïe : ce qu’il déversait alors n’était rien de moins que la colère de Dieu. Son rapport à la Bible, qu’il lisait quotidienn­ement tout en fêtant le saint du jour, et son immersion bizarre en littératur­e sont étudiés avec maestria par le génial Pierre Glaudes (également grand spécialist­e de Barbey) dans son passionnan­t essai Léon Bloy la littératur­e et la Bible (3). Car la Bible est au coeur de la vie de Bloy, vie qu’il partageait dans une communion sidérante – dans la pauvreté extrême et la douleur la plus vive puisque les Bloy ont perdu deux enfants en bas âge à cause de leurs très précaires conditions de vie – avec sa femme Jeanne, d’origine danoise (Céline lira plus tard le Journal de Bloy rédigé au Danemark lorsqu’il était luimême exilé dans ce pays…). Leur fusion mystique est très bien détaillée dans Jeanne et Léon Bloy. Une écriture à quatre mains (4), de Natacha Galpérine.

Viré de tous les journaux (y compris du Figaro) qui avaient eu l’insoucianc­e de l’embaucher, perdant un par un ses amis lui reprochant son éternelle ingratitud­e, perclus de douleur et passant ses journées à se demander comment réunir les quelques francs nécessaire­s à la survie de sa famille (même s’il lui arrivait souvent de les dépenser en anisette), Bloy vécut comme un moine-soldat en guerre contre les impies et les mauvais chrétiens, pires encore à ses yeux que le reste de l’humanité ; sa foi était le moteur de sa survie. Il est plaisant de savoir qu’il n’aura pas fait tous ces sacrifices en vain : pour sa toute première homélie, le pape François a cité Léon Bloy. Quelle revanche...

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