Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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Qui connaît Rehana ? A-t-elle vraiment existé ? Oui, sans doute. Quoi qu’il en soit, elle devint une légende en 2014, au moment du siège de Kobané par Daech. Kobané est une ville syrienne, à quelques kilomètres de la Turquie. Près de là, un village où vivait Rehana avec sa famille. Son père était un paysan kurde, un patriote, un résistant, un guerrier. Il adorait sa fille, il l’appelait « mon ange ».

Elle n’avait pas 20 ans, elle voulait devenir avocate, et lui voulait en faire un soldat, il lui avait appris à manier un fusil. Elle refusa. Il insista. Elle se révolta : non, je serai avocate. Soudain Daech surgit. La famille s’enfuit. Le père resta. Pour sauver sa patrie, ses arbres, ses enfants, son honneur. Alors elle décida de le rejoindre. Pour le sauver, lui. En chemin elle fut arrêtée par les hommes de Daech. Livrée à eux. Elle s’évada. La descente en enfer. Elle parvint à rejoindre un groupe de femmes kurdes en plein combat. Elles lui disent, à elle la pacifiste : « Tu es obligée de choisir entre deux formes de violence ; celle qui te rend plus forte ou celle qui te rend esclave. » Elle choisit : elle luttera désormais dans le camp des tueuses, des carnassièr­es. « Je suis devenue un monstre. » Elle entrera en même temps dans la légende, celle de la tueuse aux cent victimes. « Chaque fois que je tue, c’est un peu la mort pour moi aussi. » Avant d’être égorgée par les hommes de Daech, elle reverra son père mourant dans un hôpital de Kobané. Qui lui dira : « C’est un paradoxe terrible que pour construire une terre libre de toute tyrannie on doive être aussi sanguinair­e que les tyrans. »

Véridique ou non, cette histoire atroce nous vaut un très beau monologue concis, rapide et dense de l’écrivain britanniqu­e Henry Naylor, excellemme­nt traduit par Adélaïde Pralon et Dominique Hollier. Et un spectacle d’une grande qualité émotionnel­le, dirigé avec beaucoup de tact par Jérémie Lippmann. On y découvre une admirable et très jeune comédienne, Lina El Arabi, sobre et profondéme­nt inspirée à la fois. Elle dit ce texte déchirant dans un savant clair-obscur (lumières de Joël Hourbeigt) qui laisse voir le beau décor de Jacques Gabel. C’est remarquabl­e. (Théâtre Tristan-Bernard, 01.45.22.08.40).

Jusqu’au 3 novembre, on pourra encore voir William Mesguich dans Le Dernier Jour d’un condamné. Il n’est pas utile de revenir sur le superbe texte de Victor Hugo, sinon pour en saluer l’intelligen­te adaptation de David Lesné. On ne saurait trop en revanche louer la prestation du comédien. Il nous offre une leçon de théâtre en épuisant toutes les possibilit­és qu’offre ce monologue à l’acteur : la fougue, le désespoir, la révolte, la peur, etc. Il y ajoute une exceptionn­elle jeunesse par la démonstrat­ion d’une incomparab­le énergie (Studio Hébertot, 01.42.93.13.04).

Une révélation : Lina El Arabi

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