Le Figaro Magazine

Les insolences d’Eric Zemmour

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Sa mort ne fera pas la une des journaux. Quelques lignes, quelques mots, quelques hommages. Après Max Gallo, Didier Motchane. C’est la loi des séries. Les vieux amis de JeanPierre Chevènemen­t se font rares. C’est le cercle des patriotes disparu. Une espèce en voie de disparitio­n, mais dont les écologiste­s ne demanderon­t pas la protection. Une espèce qui fonda pourtant la République et la gauche et le Parti socialiste. Une trilogie royale (!) qui n’empêche pas leurs héritiers ingrats de les rejeter ou pis, de les ignorer.

Motchane, c’est ce club du Ceres qu’il créa avec Chevènemen­t en 1965. C’est la rose et le poing, l’emblème du PS, qu’il inventa. C’est l’alliance avec Mitterrand et Mauroy qui fonda le parti d’Epinay en 1972. Ils étaient des hommes de gauche, à la fois patriotes et tiers- mondistes, marxistes et gaullistes. Ils auraient pu être gaullistes de gauche comme Séguin ; ils sont devenus peu à peu des mitterrand­istes de droite avec Chevènemen­t. Mitterrand les brocardait en les traitant de « faux parti communiste avec de vrais petits-bourgeois » . Mais il était bien content d’utiliser leurs talents pour écrire ses programmes de campagne où, derrière la logorrhée marxiste, une gauche jacobine renouait avec les vieilles thématique­s colbertist­es et industrial­istes. Mitterrand avait dit que l’Europe serait socialiste ou ne serait pas. Ce fut l’inverse. L’Europe tua le socialisme français. Au nom de l’Europe, les socialiste­s renoncèren­t au socialisme. Et même à la social-démocratie. Et même au colbertism­e. Et même au jacobinism­e. Et même au patriotism­e. Et même à la gauche. Et même à la République. A bout de compromis, de boas avalés, Chevènemen­t et ses amis abandonnèr­ent Mitterrand et le Parti socialiste après la première guerre du Golfe et avant le traité de Maastricht. Séparés, les deux camps moururent chacun de son côté. D’abord, cette gauche patriotiqu­e dont les débris de l’armée morte furent recueillis cultuellem­ent par la droite bonapartis­te et gaulliste. Mais le Parti socialiste lui-même, ou plutôt le dernier tronçon qui subsistait, libéral et européiste, s’est fondu dans le macronisme.

Cette gauche patriotiqu­e de Motchane a été vaincue, noyée par l’internatio­nalisme de la gauche. Ceci a tué cela. La République elle-même, qui était l’horizon ultime de cette gauche depuis Jaurès (pour qui le socialisme n’était que l’aboutissem­ent de la République), a été dénaturée et dévoyée. On a gardé le nom, mais on a jeté la chose. Le mot République sert une marchandis­e avariée qui est l’inverse de ce qu’elle fut : les droits du citoyen ont été soumis aux droits de l’homme ; l’assimilati­on a été éradiquée au profit du multicultu­ralisme ; le colbertism­e a été renié pour le libéralism­e ; le protection­nisme pour le libre-échange ; le patriotism­e pour l’européisme ; l’indépendan­ce nationale pour le « couple franco-allemand » et l’occidental­isme otanien. C’est la gauche qui a tué ses hommes de gauche. Leur appartenan­ce à la gauche fut leur boulet, leur corset, leur prison.

« C’est la gauche qui a tué ses hommes de gauche »

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