Vu de l’étranger : Etats-Unis
En 2008, un développeur anonyme utilisant le pseudonyme de Satoshi Nakamoto publie un article sur un site de cryptographie proposant un système de monnaie digitale, le bitcoin. Le 25 octobre dernier, près de dix ans plus tard, Jeff Garzik, un développeur américain, annonçait à Las Vegas le lancement de métronome – une autre monnaie digitale qui, selon ses dires, est beaucoup plus facile à utiliser.
Ces deux événements concernent le même monde : celui des crypto-monnaies. Et, si le sujet abordé dans ces lignes est, pour le profane, une affaire d’informatique de haut vol, de mathématique ultracomplexe et de cryptographie quasi mystique, il est aussi et avant tout question de finance, de politique ainsi que d’une potentielle transformation de l’ordre économique et monétaire mondial – d’une ampleur similaire à celle de la fin des années 1970. Car, avec moins de 50 millions d’utilisateurs seulement par mois dans le monde, le marché du bitcoin représente près de 100 milliards de dollars, et n’est que la plus populaire des centaines de cryptomonnaies en circulation.
Sur sa page LinkedIn, le réseau social dédié aux professionnels et au networking, Jeff Garzik ne sort pas vraiment du lot : diplômé en informatique à l’institut de technologie de Géorgie, aux Etats- Unis, il indique sobrement « construire de grandes choses » dans sa biographie. Sur son site internet, ou plutôt « L’Ennuyante Page Internet de Jeff », sont indiquées littéralement noir sur blanc son adresse mail, sa bio, une photo de lui libre de droit. En 2010, Jeff découvre le bitcoin et se passionne pour cette monnaie nouvelle qui s’affranchit des structures monétaires traditionnelles. « Le bitcoin fascine tout le monde, expliquait-il en 2014. Que ce soit Wall Street ou la Silicon Valley, ils courent après, non seulement pour sa valeur mais aussi pour les technologies qui en découlent et qui révolutionnent l’audit, la transparence et la sécurité des transactions. »
Le bitcoin, comme toutes les autres monnaies électroniques, est en effet entièrement décentralisé : sa valeur n’est pas garantie par un Etat ou une Banque centrale mais par l’ensemble de ses utilisateurs qui partagent le même « livre de compte » où sont répertoriées toutes les transactions. Le bitcoin possède en revanche les mêmes caractéristiques qu’une monnaie traditionnelle : une unité de compte et une réserve de valeur.
Problème : la création de nouvelles unités bitcoin, les échanges et les transactions de cette monnaie reposent sur un système de cryptage particulièrement complexe (appelé blockchain) dont les arcanes rempliraient sans aucun mal toutes les pages de ce magazine. Ce système nécessite donc une importante puissance de calcul informatique. Et c’est là que le bât blesse : devant l’augmentation de la valeur du bitcoin ( un bitcoin vaut aux alentours de 6 000 $ aujourd’hui contre 2 100 $ en mai dernier et… 1 000 $ en 2013), le nombre d’utilisateurs et donc celui de transactions effectuées augmentent de manière exponentielle. Devant ce fait, la communauté des « bitcoiners » se déchire entre deux visions : les premiers veulent améliorer la vitesse des transactions mais en laissant le contrôle de la monnaie à ses utilisateurs ; les autres souhaitent augmenter le nombre de transactions possibles au prix d’une centralisation de la gestion du bitcoin – et s’éloigner, finalement, du concept de base de Nakamoto.
Fervent défenseur de cette monnaie virtuelle pendant longtemps, créateur d’une plate-forme de paiement en ligne pour le bitcoin, Jeff Garzik fait pourtant aujourd’hui office de pompier pyromane, explique Quentin de Beauchesne, fondateur de la communauté spécialisée CryptoFR. « En créant sa nouvelle crypto-monnaie, métronome, il agit exactement comme ceux qu’il critiquait il y a moins de deux ans. Il prétend solutionner des problèmes que sa démarche même participe à créer. » Mais l’effet d’annonce de Jeff Garzik aura eu le mérite de mettre en lumière le débat qui anime les monnaies électroniques. Et de lui faire incarner, finalement, une lutte qui risque de provoquer des bouleversements majeurs dans le monde des crypto-monnaies ; et donc, à long terme, le futur visage de l’économie mondiale.
L’économie mondiale fascinée par la monnaie virtuelle