La page d’histoire de Jean Sévillia
Faites le test autour de vous en demandant qui a instauré l’école obligatoire. Dans 90 % des cas, on vous répondra qu’il s’agit de Jules Ferry. Or, c’est faux. Si celui- ci a mis en place, entre 1881 et 1885, un ensemble de lois fondant l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire, l’instruction publique, comme principe et comme réalité, n’a pas attendu le célèbre ministre pour voir le jour. Les préceptes scolaires de la IIIe République « ne faisaient qu’entériner une situation et des principes qui ne cessaient d’être réaffirmés depuis le VIe siècle après J.-C. », observe Virginie Subias Konofal. Qui ajoute : « Lorsque Jules Ferry entra sur la scène scolaire, l’école était en France, depuis plusieurs siècles, à la fois gratuite et obligatoire. »
Agrégée de lettres classiques et docteur ès lettres, l’auteur, qui a enseigné dans le secondaire et en classes préparatoires, a tant entendu d’affirmations erronées sur l’histoire de l’école qu’elle a voulu écrire une contre-histoire sur le sujet. Son livre n’a d’autre prétention que d’opérer la synthèse de différents ouvrages publiés par les spécialistes de la question, mais cette synthèse est réussie, et surtout utile. Virginie Subias Konofal rappelle ainsi que Charlemagne et plusieurs conciles médiévaux décrétèrent l’obligation d’instruire les enfants pauvres, que saint JeanBaptiste de la Salle fonda les Frères des écoles chrétiennes pour enseigner gratuitement les enfants du peuple, et que Louis XIV avait édicté l’obligation scolaire en 1698 – décision très inégalement appliquée, faute de moyens, mais néanmoins historique. L’historienne insiste sur le rôle essentiel de Guizot, ministre de LouisPhilippe dont la loi de 1833 organisera l’enseignement primaire d’Etat, chaque commune étant obligée d’entretenir une école primaire et d’assurer la gratuité aux indigents. En 1881, avant les lois Ferry, 86 % des hommes et 79 % des femmes savaient lire et écrire. Jules Ferry aspirera surtout à laïciser l’école, dans la perspective anticléricale de l’époque, car pour ce qui était de l’alphabétisation, le mouvement était lancé depuis longtemps. Un petit livre libérateur pour l’esprit, et qui resitue l’oeuvre scolaire de la IIIe République dans le temps long de l’histoire de France. Histoire incorrecte de l’école. De l’Ancien Régime à aujourd’hui, de Virginie Subias Konofal, Le Rocher, 166 p., 12,90 €.