LE MAGE MODIANO
Enfin ! Trois ans après son prix Nobel, Patrick Modiano a finalement l’honnêteté (tardive) d’avouer son forfait : cet homme utilise des trucs de magicien depuis cinquante ans pour hypnotiser ses lecteurs. Dans Souvenirs dormants, il passe à table : dès 1962, il fréquentait des gourous de la secte Gurdjieff (comme Louis Pauwels, notre ancien directeur). C’est dans ces réunions bizarres avec des charlatans ésotériques qu’il a appris les rudiments de la manipulation occulte qu’il ferait ensuite fructifier durant la seconde moitié du siècle, et au début du suivant, afin d’entourlouper les masses. Depuis ses débuts en 1968, on sentait bien qu’il y avait quelque chose de pas net dans toute l’oeuvre du mage Modiano… et Pauline Dreyfus a bien fait d’enquêter, dans Le Déjeuner des barricades (Grasset), sur La Place de l’Etoile, ce premier roman si différent des suivants, comme rédigé par un schizophrène. Le style de Modiano est hanté de fantômes, il diffuse une « lumière voilée » - l’expression revient deux fois à deux lignes d’écart en page 16 de Souvenirs dormants, preuve que même les correcteurs chez Gallimard ne travaillent pas dans leur état normal ! Le Uri Geller des lettres nous ensorcelle à partir de quelques détails précis (des adresses, des dates, des noms propres en guise d’abracadabras) et la brume épaisse qui enrobe l’action ne sert qu’à nous enfumer. Souvenirs dormants dévoile pour la première fois le mystère modianesque : ce collage de flash-back synthétise les vingtsix romans précédents. On y retrouve à la fois la mélancolie de Villa Triste et la confession d’Un pedigree. Il était temps que le monde sache la vérité. Cet homme est un marabout, un bonimenteur, un sorcier vaudou ! Dans son discours devant des Suédois médusés, en 2014, il l’avait d’ailleurs reconnu lui-même en livrant une bien curieuse définition de la littérature : « C’est un peu comme d’être au volant d’une voiture, la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité. » Les choses apparaissent désormais au grand jour. Si nous sommes fascinés par ce grand auteur balbutiant qui recherche désespérément des créatures errantes à qui il mentait, ou qu’il fuyait, il y a cinq ou six décennies, c’est parce qu’il nous a magnétisés à notre insu. Il n’existe pas d’autre explication rationnelle à un phénomène aussi absurde : des centaines de milliers de gens, dans une quarantaine de pays, qui s’intéressent à des clochardes et/ou demi-mondaines perdues de vue depuis soixante ans et dont même l’auteur se souvient à peine !
Souvenirs dormants, de Patrick Modiano, Gallimard, 105 p., 14,50 €. A noter : la publication simultanée d’une pièce de théâtre,
Nos Débuts dans la vie (Gallimard).