PARIS EST TOXIQUE
C’est bien connu : l’underground d’aujourd’hui fait le classicisme de demain. Le roman en argot descend de Céline, mais pas seulement : avant lui, Rabelais et Hugo se sont nourris des dialectes populaires. Et n’oubliez pas que c’est Shakespeare qui a inventé le mot « swag » ! Le défi du roman contemporain est de refléter l’évolution des moeurs comme de la langue. Voilà une introduction bien faux-cul pour me justifier de traiter un livre ultraviolent dans ce magazine en velours côtelé. Sans paternalisme bourge ni complaisance ordurière, Johann Zarca réussit sa plongée hyperréaliste dans des bas-fonds parisiens en voie d’aseptisation. Le jargon des jeunes, banlieusards ou campagnards, semble l’un des enjeux de cette rentrée littéraire : Fief, de David Lopez, tente aussi d’intégrer cette désintégration syntaxique mais son travail se voit trop, son verlan respire l’atelier d’écriture, tandis que Paname Underground sent la rue, la fumée, le trafic de drogue, le sexe tarifé, le parfum capiteux des hétaïres baudelairiennes. Son sabir est celui de la frustration, de la trouille et du désir.
Quel est ce Zarca qui siffle sur nos têtes ? Un blogueur dont ceci est déjà le troisième roman. Son site Le Mec de l’underground est farfelu et libre. Il sera sans doute étonné, voire choqué, d’être salué ici. Il est l’un des finalistes du prix de Flore, dont Vincent Ravalec fut le premier lau- réat, il y a vingt-trois ans. Sa prose directe, rugueuse mais émotive, descriptive et distanciée, aurait pu s’intituler Cantique de la racaille. Ce roman-guide débute au Club 88 de la rue Saint-Denis dans une chambre de love hotel, se poursuit à Pigalle, Barbès et Belleville (dans des lieux dont tout porteur de Berluti ressortirait pieds nus), déambule de deals risqués en combats de boxe clandestins, de backrooms
gays en bars de skins, en passant par les catacombes et le bois de Vincennes qui, visiblement, n’est pas encore au courant de la pénalisation des clients. Impossible de citer ici une seule phrase de ce gonzo-reportage furieux, écrit à l’AK-47 par un Audiard qui aurait lu Le Démon, de Selby. C’est grossier, agressif, glauque mais drôle comme une fête dont on ne se souvient pas. Johann Zarca est LA révélation de cette rentrée bien sage… Il est l’écrivain qui bouscule le plus la langue française, de façon nettement moins obscène que l’écriture inclusive. Impossible de lâcher cette enquête punk sur le monde-caché-de-cequi-se-trame-quand-les-bobos-dorment. Croyez-en un néorural : Paname Underground
donne envie de revenir ! Paname Underground, de Johann Zarca, Editions Goutte d’Or, 247 p., 17 €.