Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Un large coup de chapeau à plumes à nos voisins Helvètes. Bien que n’ayant plus livré une bataille depuis Marignan et ne connaissant d’autres engagements militaires que sous les couleurs de la garde pontificale, ils ont courageusement guerroyé depuis 1934 pour conserver ce secret bancaire qui, avec le fendant et l’emmental, constituaient l’un des principaux charmes de la Confédération. La citadelle vient de tomber. On pourra donc échanger les renseignements fiscaux et sonner le glas d’une opacité qui, un temps, eu tellement de succès que les déposants étrangers acceptaient d’acquitter un intérêt négatif. A Genève, à Berne et à Zurich, les palaces regorgeaient d’épargnants venus embrasser leurs économies. La discrétion n’est pas totale. De nombreux photographes rôdaient devant les banques dans l’espoir de surprendre l’arrivée ou le départ d’une vedette. Pourtant, la gestion de portefeuille n’était pas miraculeuse. Et il fallait s’estimer heureux si l’on retrouvait son magot intact. Par la suite, les naturalisations se multiplièrent au point d’atteindre en 2014 le quart d’une population estimée à 8 millions d’individus. Du beau monde depuis qu’Alain Delon, Isabelle Adjani, Johnny Hallyday ont suivi le lointain exemple de
Mme de Staël.
Plus souvent que des conseils de placements, nos chers voisins nous ont donné des leçons de fonctionnement démocratique : 26 cantons entrecroisent sans problème l’usage de l’italien ou de l’allemand ou du français ou du romanche, alors qu’en Belgique, les Wallons et les Flamands s’entendent difficilement. Si l’on ajoute qu’on y bénéficie de la deuxième plus longue espérance de vie et d’un pouvoir d’achat supérieur d’au moins 50 % à celui des autres nations d’une Europe dont les Suisses ne font pas partie, que le mot crise n’appartient pas au vocabulaire local, que le chômage des jeunes est inexistant en raison de leur dilection pour l’apprentissage, force est d’évoquer un petit miracle permanent reposant à la fois sur les institutions, le courage et surtout sur une neutralité perpétuelle reconnue en 1815 par le Congrès de Vienne. Et quelle merveille que ce franc suisse, monnaie forte d’un pays militairement faible et ne possédant même pas la dissuasion nucléaire ! Bien sûr, leur devise – Un pour tous, tous pour un – est trop belle pour s’appliquer à toutes les heures de la vie quotidienne mais elle explique que des génies aussi égoïstes que Georges Simenon ou Charlie Chaplin s’y soient sentis plus à l’aise que dans leur pays natal. On a parfois raillé les Suisses pour leurs fréquentes « votations » sans s’aviser que ces référendums permettaient au peuple de se prononcer rapidement et sans appel sur tous les sujets sensibles. En premier lieu sur le recours aux travailleurs étrangers (petites femmes pas farouches comprises). L’honnêteté des scrutins, garantie par la palme de nation la moins corrompue du monde, alors qu’elle est aussi l’une des plus prospères, doit expliquer notre jalousie à l’égard de limitrophes se riant de presque toutes nos contraintes. A l’écart des deux dernières guerres mondiales, les Suisses se sont fait pardonner leur neutralité en accueillant la Société des Nations et de nombreuses organisations internationales comme la Croix-Rouge ou l’OMS. Il n’y a guère qu’en matière d’espace Schengen que les Suisses aient mis une sourdine à leur isolationnisme forcené. Mais pas question pour autant d’adhérer à l’Union européenne qui n’a jamais compris comment l’un des plus petits pays du Vieux Continent pouvait lui tenir la dragée aussi haute. Pour moi qui, jeune reporter, y ai assuré pour Le Figaro une demi-douzaine de conférences internationales, Genève se résume par une série de chromos : le geyser culminant à 140 mètres au-dessus de la jetée (bien nommée) des EauxVives ; la vieille ville à la fois protestante et libertine ; le lac Léman bordé par des dizaines de villas de rêve. Sans oublier l’entrecôte du Café de Paris près de la gare Cornavin. Charles Aznavour et moi y avions notre rond de serviette. Mais jamais nous ne pûmes éventer le secret de la préparation en dépit d’une pipette gorgée de la précieuse sauce que nous fîmes en vain analyser à Paris. Les plus grandes fortunes sont aussi discrètes qui gîtent au fond de parcs mystérieux tandis qu’on jongle avec les milliards à Berne et à Zurich dans d’austères bâtiments à côté desquels la City et Wall Street font figure de boîtes de nuit. Enfin, qu’il me soit permis de noter que l’absence totale de marine n’empêche pas de nombreux bateaux de battre pavillon rouge et blanc ; le droit accordé aux anciens conscrits d’emporter chez eux leur arme personnelle et un couteau (suisse évidemment) ; au même titre que les feuilles de cellophane symbolisent une méticuleuse propreté. Enclave bénie que celle dont les beautés de la nature et la sagesse des hommes ont fait le parc d’attractions de la démocratie directe et représentative. J’admire que l’exécutif y soit à la fois respecté et invisible. Les présidents ne s’incrustent pas comme chez nous. Ils s’en vont au bout d’un an sans que leurs photos de famille aient encombré les magazines en couleurs, sans espoir de retour et sans être poursuivis par la justice.
LES SUISSES M’ONT DÉÇU EN BIEN
L’absence totale de marine n’empêche pas de nombreux bateaux de battre pavillon rouge et blanc