La page d’histoire de Jean Sévillia
Il y a cent ans, le 16 novembre 1917, Georges Clemenceau devenait président du Conseil, fonction qu’il cumulait avec le portefeuille de la Guerre. De 1906 à 1909, il avait déjà été chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur, mais c’est en prenant les rênes du pouvoir au terme de la quatrième année d’un conflit sans précédent et apparemment sans fin que cet homme de 76 ans, volontaire, orgueilleux et autoritaire, allait accéder à sa pleine dimension, en dirigeant le pays d’une poigne de fer. Quelques mois plus tard, il résumera son programme, devant la Chambre des députés, d’une phrase restée célèbre : « Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. » Les photos des visites qu’il effectuait dans les tranchées pour encourager les poilus, muni de sa canne et de son chapeau cabossé, participeront de sa légende. En novembre 1918, la France terminera le conflit épuisée et exsangue, mais Clemenceau changera de surnom, le Tigre devenant le
Père la Victoire. Al’occasionducentenairede1917, un Dictionnaire Clemenceau, oeuvre collective d’historiens et de spécialistes à dominante universitaire (1), restitue les multiples facettes du personnage, républicain de Vendée, maire d’arrondissement de Paris sous la Commune, héraut du dreyfusisme, député radical, tombeur de ministères, sénateur, journaliste, premier flic de France, briseur de grèves, révolutionnaire devenu patriote, homme à femmes et auteur d’innombrables bons mots. Voué à la gloire de son héros, ce dictionnaire a l’honnêteté de faire une (petite) place à des points de vue plus critiques, par exemple, dans cet article où Georges-Henri Soutou convient qu’en 1919, les traités de Versailles et de Saint-Germain, qui portent la marque de Clemenceau, n’ont pas su établir une paix durable.
La biographie que Michel Winock, professeur émérite à Sciences-Po, avait publiée il y a dix ans a, par ailleurs, été révisée et actualisée en vue d’une édition de luxe (2). L’auteur y replace Clemenceau dans la lignée de hautes figures qui, depuis Jeanne d’Arc, ont cimenté l’histoire de France. 1)Dictionnaire Clemenceau, sous la direction de Sylvie Brodziak et Samuel Tomei, Robert Laffont, « Bouquins », 736 p., 30 €. 2)Clemenceau, de Michel Winock, édition du centenaire, Perrin, 570 p., 35 €.