Le Figaro Magazine

En vue : les chrétiens d’Orient

Une exposition qui se tient à l’Institut du Monde Arabe à Paris avant de se déplacer à Tourcoing illustre l’histoire, la culture et le visage actuel des communauté­s chrétienne­s du Proche-Orient. Passionnan­t et émouvant.

- • JEAN SÉVILLIA

Bsouveniri­en sûr on savait qu’ils existaient, mais pour la plupart des Européens, les chrétiens d’Orient étaient naguère de lointains inconnus. Il a fallu la dramatique poussée du terrorisme islamiste et le sang des martyrs irakiens ou égyptiens pour se

que, dans les pays où le christiani­sme est né, les chrétiens forment désormais une minorité menacée. Mais c’est avec générosité, dès lors, que les Français ont répondu à l’appel des associatio­ns qui viennent à leur secours. Conseillon­s à ceux-ci, par conséquent, de se précipiter à l’Institut du monde arabe, à Paris, où une exposition est consacrée à l’histoire, à la culture et au visage actuel des communauté­s latines, maronites, melkites, arménienne­s, chaldéenne­s, assyriaque­s ou syriaques du Proche-Orient (1). Ouverte jusqu’au début de l’année prochaine, l’exposition se déplacera ensuite à Tourcoing, pour plus de trois mois, et peut être revisitée grâce à son excellent catalogue (2). Ceux qui sont sensibles au destin de ces chrétiens héritiers d’une tradition bimillénai­re ne manqueront pas cette occasion unique de mieux les connaître.

Si les Eglises et communauté­s qu’on désigne couramment sous le terme générique de « chrétiens d’Orient » se trouvent dans une vaste aire qui s’étend de l’Ethiopie au Kazakhstan, l’exposition, dans la pratique, couvre un champ qui forme le berceau du christiani­sme (Israël, Palestine, Jordanie) et les pays où il s’est implanté à l’époque des apôtres : Egypte, Liban, Syrie, Irak. C’est donc sur les traces de la chrétienté arabe, schématiqu­ement, que nous emmènent les plus de 300 objets présents. Les collection­s nationales ont été mises à contributi­on, pour des pièces habituelle­ment invisibles, mais plus encore un grand nombre de prêteurs étrangers, dont maintes institutio­ns du Proche-Orient. Organisé chronologi­quement, le parcours montre l’apparition et le développem­ent du christiani­sme en Orient, la situation des Eglises orientales après la conquête arabe, puis la relation ambivalent­e de celles-ci avec l’Occident (c’est une lapalissad­e, mais il convient de rappeler que les chrétiens d’Orient sont non seulement des chrétiens, mais encore des Orientaux…). La dernière partie de l’exposition s’intéresse au sort des chrétiens dans le monde arabe aujourd’hui. Elle n’est pas la moins prenante, même si on peut regretter que la question de la pression de l’islam sur les communauté­s chrétienne­s du Proche-Orient y soit abordée trop allusiveme­nt.

On s’attarde ainsi devant une fresque de Syrie du IIIe siècle représenta­nt le Christ marchant sur les eaux, une lampe ornée d’une croix ciselée en Palestine au VIe siècle, un manuscrit copte du VIIIe siècle ou une icône peinte à Alep au XVIIIe siècle. La photograph­ie, à partir du XIXe siècle, a permis de fixer des images sublimes de monastères perdus au milieu de paysages dont on ne sait s’ils sont bibliques ou lunaires, ou d’étonnants portraits comme ceux de ces hommes enturbanné­s de la tribu chrétienne des ‘Azeizat, clichés pris à Madaba, en Jordanie, en 1905. L’exposition de l’IMA montre de nombreuses icônes. Cet art des chrétiens d’Orient a depuis longtemps la faveur, en Occident, des chrétiens comme des amateurs d’art en général. En 1998, le musée du Petit Palais, à Paris, a bénéficié de la donation d’un passionné de l’art orthodoxe, Roger Cabal, qui, en près de quarante ans, avait réuni une impression­nante collection d’icônes postbyzant­ines. Ce don est venu s’ajouter aux objets d’art byzantin entrés au musée dès 1902 grâce au legs des frères Dutuit. Le Petit Palais vient d’installer cet ensemble dans un même espace désormais dédié aux icônes et arts chrétiens d’Orient, où sont ainsi présentées des icônes grecques et russes allant du XVe au XIXe siècle (3).

Dans une vitrine de l’IMA repose un gros livre qu’un étudiant sorti de Sciences-Po, Vincent Gelot, a fait signer à ses interlocut­eurs au cours d’un circuit effectué dans une vieille 4L, de 2012 à 2014, avec le soutien de L’OEuvre d’Orient et de la Fondation RaoulFolle­reau, afin de rencontrer les chrétiens du Proche-Orient, du Caucase, du golfe Persique et de la Corne de l’Afrique. Son album de voyage constitue un tableau vivant de ces fidèles du bout du monde (4).

Une émouvante photo montre encore la porte d’entrée d’un sanctuaire chrétien du VIIe ou du VIIIe siècle, en Arabie saoudite. Là où le christiani­sme est aujourd’hui interdit. C’est pour que cela ne se reproduise pas qu’il ne faut pas oublier les chrétiens d’Orient.

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