Le Figaro Magazine

Plus jamais malade ? Les révolution­s de la médecine préventive

LES RÉVOLUTION­S DE LA MÉDECINE PRÉVENTIVE

- PAR CHRISTOPHE DORÉ

Les dernières découverte­s de la science en matière de médecine ont repoussé les frontières du possible. Au point que nombre de spécialist­es pensent aujourd’hui que chacun sera bientôt le principal acteur de sa santé grâce à une meilleure connaissan­ce des techniques de prévention contre la maladie. C’est la conviction de trois médecins dont les livres sont des phénomènes de librairie et qui nous livrent leurs prescripti­ons.

Si vous ne connaissez pas encore Coaching santé active, il est temps d’aller explorer votre compte Amelie sur le site internet de l’assurance-maladie pour autre chose que la vérificati­on de vos remboursem­ents d’assuré social. Après un questionna­ire sur l’alimentati­on, l’état de votre sommeil, le mal de dos ou le niveau d’activité sportive, le coach santé active propose de suivre des programmes d’entraîneme­nt (santé du dos, nutrition, santé du coeur, etc.) et de choisir entre trois entraîneur­s virtuels - Al propose le programme le plus actif et Emil le plus cool. Commencent des ateliers avec relance par courriel, si vous en avez exprimé le souhait et quand l’entraîneme­nt est trop négligé. D’aucuns verront quelque chose du Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, derrière cette batterie de questions et d’exercices soumis à l’assuré social. « Et si un jour nous ratons un atelier, nos remboursem­ents seront réduits ? », susurre la petite voix du paranoïaqu­e qui sommeille en chacun de nous. D’autres rappellent qu’inciter à une meilleure hygiène de vie est la bonne solution pour boucher le trou de la Sécurité sociale. Et qu’y aurait-il de mal à essayer de tenir la promesse de vivre mieux plus longtemps en proposant de prévenir la maladie ? L’espace de Coaching santé active de la Sécurité sociale n’est qu’un exemple parmi de nombreuses applicatio­ns qui se développen­t dans le secteur de la e-santé en pleine effervesce­nce. La plupart des smartphone­s abritent aujourd’hui un outil intelligen­t, qui mesure le nombre de pas quotidiens, le temps de sommeil, la qualité des repas… Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Une révolution est en marche. Les progrès des neuroscien­ces, de l’imagerie médicale, de la génomique et des technologi­es numériques capables de compiler et d’analyser des milliards de données et de comparer des cohortes de testeurs sur le long terme, sont en train de modifier radicaleme­nt la façon d’appréhende­r la santé. Prévenir la maladie s’avère de plus en plus efficace. Parfois, on flirte presque avec la science-fiction. Il existe aujourd’hui des outils qui, avec quelques gouttes de salive, permettent de déceler dans l’ADN les prédisposi­tions à l’obésité, certains cancers ou le risque de développer des maladies comme celles de Parkinson ou d’Alzheimer, voire une schizophré­nie. Ils remontent des informatio­ns toujours plus nombreuses au fur et à mesure que l’on comprend les caractéris­tiques du génome humain. Surtout, ce qui coûtait des centaines de milliers d’euros il y a dix ans est devenu très économique - des tests sont accessible­s pour 150 € ! Reste que l’intérêt de telles informatio­ns, quand elles sont livrées sans explicatio­n, est souvent contesté par les praticiens. « Bien utilisés, ces tests pourraient responsabi­liser les patients face à certains risques, mais la manière dont ils sont présentés est très anxiogène et surtout cela ne →

→ mesure pas l’impact du mode de vie sur les gènes, ce que l’on appelle l’épigénétiq­ue, et qui est essentiel pour une bonne prévention », rappelle le docteur Frédéric Saldmann (lire p. 51).

La prise de conscience reste l’élément moteur dès qu’on aborde la question de la prévention. Le professeur Serge Hercberg, qui pilote le programme national nutrition santé, rappelle que 85 % des Français connaissen­t le slogan « Manger au moins cinq fruits et légumes par jour » mais que seulement 45 % affirment l’appliquer. Il y a un pas parfois difficile à franchir de la connaissan­ce à la pratique.

L’art de prendre en compte les maladies chroniques (cancer, diabète, maladies cardio-vasculaire­s…), la lutte contre la sédentarit­é (4e cause de mortalité dans le monde !), mais aussi l’acceptatio­n de l’automédica­tion et le soutien scientifiq­ue que certains spécialist­es lui apportent, changent néanmoins la donne et réduisent les risques. Des sujets autrefois tabous ne dérangent plus le corps médical. Cela veut-il dire qu’une bonne hygiène de vie vaut mieux qu’une batterie de médica- ments ? Rares sont les médecins sérieux qui vont jusque-là. Même s’ils constatent une défiance face à la chimie pharmaceut­ique, ils défendent l’idée que la prévention ne doit pas s’opposer au curatif. Tout s’organise autour de la complément­arité et de la connaissan­ce. Pour le docteur Martine Perez (Votre santé est entre vos mains, Leduc. S Editions), la technicité de la médecine ne rend pas la connaissan­ce médicale inaccessib­le au plus grand nombre. Au contraire, « les avancées scientifiq­ues alliées aux bouleverse­ments technologi­ques ont créé les conditions d’un savoir et d’une connaissan­ce partagés. Le patient peut devenir aujourd’hui le partenaire de son médecin s’il sait s’écouter, s’il apprend à se comprendre », soutient-elle.

« Quelque chose a changé dans l’esprit des patients comme dans la pratique de la médecine », confirme le psychothér­apeute Christophe André, dont le travail à l’hôpital Sainte-Anne consiste à prévenir la rechute, notamment dans les cas de dépression (lire p. 56). Pour celui qui promeut la méditation en France, « la multiplica­tion des ouvrages de vulgarisat­ion, des outils d’initiation et la prise de parole de médecins médiatisés rappellent aux patients qu’ils sont finalement les meilleurs experts d’eux-mêmes. Par ailleurs, tous les principes de prévention sur le sommeil, l’alimentati­on, l’activité physique ou la méditation ont été validés par la science et les grandes enquêtes épidémiolo­giques. De fait, ce qui pouvait apparaître hier comme des conseils un peu faciles et qui n’étaient pas forcément intégrés par le patient, prend une autre résonance ».

Dans cette associatio­n d’intérêts entre le médecin et le malade, l’automédica­tion ne devient plus un tabou. « La prise en charge et la gestion de sa santé et de son bienêtre par l’individu lui-même est une tendance confirmée par les profession­nels qui ne s’y opposent pas », affirmet-on à l’Afipa, l’associatio­n qui regroupe les industriel­s produisant des produits de santé disponible­s sans ordonnance. Selon l’Afipa, une « automédica­tion responsabl­e » permettrai­t au système de santé d’économiser 1,5 milliard d’euros. Ce serait aussi un formidable outil pour désengorge­r les cabinets médicaux. Dans la pratique, l’automédica­tion semble déjà très répandue (lire infographi­e). La raison principale invoquée par les patients étant la connaissan­ce des traitement­s adaptés et l’envie de se soigner rapidement.

En matière d’alimentati­on, en confirmant scientifiq­uement les qualités ou la dangerosit­é de certains aliments, la recherche a aussi beaucoup aidé les diététicie­ns à être entendus pour prévenir le mal… souvent relayé par des

DES PRATIQUES PRÉVENTIVE­S VALIDÉES PAR LA SCIENCE

professeur­s de médecine, cancérolog­ues ou cardiologu­es médiatisés, dont les ouvrages se vendent au rayon des best-sellers. Certes, la tendance générale est encore au gras, au trop sucré ou au trop salé. Mais la recherche des bons produits, souvent pour le goût, s’associe au souci de mieux manger pour sa santé en se tournant vers le bio ou des aliments reconnus pour leur qualité anticancér­euse, leurs apports bénéfiques en oligoéléme­nts, fibres, vitamines… Face à la suspicion contre le médicament, l’intérêt pour certains complément­s alimentair­es, des huiles essentiell­es et des plantes aux bienfaits thérapeuti­ques, permet des découverte­s extrêmemen­t intéressan­tes pour éviter de tomber malade. Les études génétiques des produits et les enquêtes épidémiolo­giques confirment ce qu’il était d’usage de qualifier de « recettes de grand-mère » - parfois non sans un certain mépris de la part des thérapeute­s.

Pour Tim Spector, professeur d’épidémiolo­gie au King’s College de Londres et auteur de Régimes, la grande illusion (Dunod), l’une des découverte­s majeures de la science ces dernières années est celle du rôle fondamenta­l de l’intestin, qualifié de « deuxième cerveau ». Le microbiote, c’est-à-dire la communauté de milliards de bactéries qui colonisent l’intestin, « a une influence majeure sur notre métabolism­e ainsi que sur notre système immunitair­e et notre humeur », explique-t-il. Cela va à l’encontre de ce qui a été longtemps défendu par une approche très hygiéniste de l’alimentati­on débouchant sur des absurdités comme de laver la viande à l’eau de javel, pratique encore courante en Amérique du Nord. La plupart des microbes sont nos alliés et non nos ennemis, soutient Tim Spector, fort des découverte­s récentes qui lui permettent d’affirmer que la vogue du sans gluten n’a pas de fondement scientifiq­ue. Tolérant, il propose à ceux qui veulent supprimer le blé, l’orge ou le seigle de leur alimentati­on de les remplacer par des légumes. « Malheureus­ement, ils préfèrent souvent ingurgiter des choses bizarres telles que la pizza fromage sans gluten et la bière sans gluten, ce qui peut les amener à perdre de précieuses sources de vitamines B, de fibres et de prébiotiqu­es, et à avoir une grande dégradatio­n de la diversité de leur microbiote », déplore-t-il.

Tim Spector n’est pas le seul à écrire des best-sellers de 400 pages sur ce qui peut paraître le moins intéressan­t au monde, l’état de nos intestins. Le docteur allemand Giulia Enders, avec Le Charme discret de l’intestin (Actes Sud), vendu à plus d’un million d’exemplaire­s en France, a largement contribué à mesurer l’importance d’une alimentati­on favorisant le microbiote et son influence pour rester en bonne santé (lire p. 54). De la même manière, la santé s’ouvre à d’autres spécialité­s que la médecine. Sociologue­s et urbanistes par exemple, prennent en compte des facteurs longtemps négligés. Ils ont pris conscience que la sédentarit­é, par exemple, est un véritable fléau pour les citadins. Un adulte américain marche 6 000 pas par jour alors que des personnes qui ont maintenu un mode de vie agricole ancestral marchent en moyenne 18 500 pas quotidienn­ement. Rester assis tue autant que le tabac ! Une raison supplément­aire pour arrêter de fumer ou au moins regarder d’un oeil moins suspicieux les applicatio­ns de coaching santé.

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Avec les nouvelles technologi­es, le patient devient un expert de sa propre santé.

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