Le Figaro Magazine

Les insolences d’Eric Zemmour

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Au bon beurre. On se souvient du roman ou du film. On se souvient surtout du thème : les pénuries alimentair­es, pendant la guerre et l’Occupation, qui permettent à un petit commerçant sans scrupules de s’enrichir. On pensait ne plus jamais revoir ça : on était en paix depuis des décennies et les rendements agricoles ont, depuis la guerre, décuplé.

C’est dire notre surprise incrédule devant cette pénurie de beurre. Une pénurie qui révèle une agricultur­e française en profond bouleverse­ment et en grande fragilité. Une agricultur­e française jetée depuis quelques années dans le marché mondial, sans les garanties protection­nistes longtemps assurées par l’Europe et la PAC. Plus de garanties de prix, plus de quotas laitiers, moins d’exploitati­ons laitières, moins de vaches, moins de lait. Moins de beurre.

Dans le même temps, le monde entier mange du beurre. Le monde entier veut manger comme les Français. Les Chinois et tous les Asiatiques, et l’Amérique du Nord. Du beurre, du vrai, pas de la margarine (comme en Amérique) ; du beurre, avec du vrai lait, pas frelaté (comme en Chine).

Nos industriel­s se frottent les mains : y a bon la mondialisa­tion ! Ils s’appellent Lactalis, Danone, Sodiaal, Savecia, Bel ; cinq groupes français, dans les 25 premiers mondiaux, qui se développen­t sur les marchés à l’export. Cinq groupes qui profitent de la demande accrue et des prix qui montent. Mais des groupes français qui ne veulent plus vendre en France, où la grande distributi­on leur pourrit la vie depuis des années. Une grande distributi­on qui ne veut ni baisser ses marges (plantureus­es) ni augmenter les prix (qui gâcheraien­t ses campagnes publicitai­res sur les prix les plus bas).

Le bras de fer entre la grande distributi­on et les industriel­s fait deux victimes : le consommate­ur français, qui ne met plus de beurre dans ses chariots ; et l’agriculteu­r indépendan­t qui vend son beurre une misère, écrasé qu’il est à la fois par les industriel­s et la grande distributi­on. Les seuls qui s’en tirent sont les fermiers bio qui vendent leur beurre plus cher aux bobos.

On a donc le choix : le beurre traditionn­el réservé aux Asiatiques et aux Américains ; et, pour les Français, un beurre bio, seulement pour ceux qui ont les moyens de l’acheter.

Cette histoire de la pénurie de beurre est une parabole : la mondialisa­tion est une guerre économique. Les Asiatiques et les Américains en sont les nouveaux patrons. En Europe, il y a des vainqueurs et des vaincus. Ceux qui profitent du système parce qu’ils sont branchés au plus près des patrons, et ceux qui en pâtissent parce qu’ils sont éloignés du nouveau centre de l’économie-monde, aurait dit l’historien Fernand Braudel.

En France, nous avons la particular­ité d’avoir une grande distributi­on toute-puissante. Elle a été favorisée et privilégié­e par les pouvoirs publics pour briser les reins des petits commerçant­s, qu’on accusait d’être à la fois malthusien­s et inflationn­istes. Et revoilà Au bon beurre !

La mondialisa­tion est une guerre économique dont les Américains et les Asiatiques sont les patrons

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LES INSOLENCES D’ÉRIC ZEMMOUR

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