Vu de l’étranger : Abu Dhabi
Le Louvre Abu Dhabi n’a plus rien d’un mirage. A l’heure de l’inauguration tant attendue du musée, Manuel Rabaté, son directeur, se frotte pourtant encore les yeux, avouant vivre « un moment incroyable ». De la signature de l’accord intergouvernemental en 2007 entre la France et l’émirat jusqu’à l’accrochage du dernier tableau il y a quelques jours, il a participé à chaque étape. Et, malgré la pression, ce diplômé de Sciences-Po et d’HEC, âgé de 41 ans, a gardé le rire facile. « Il ne se prend pas du tout au sérieux, s’étonne un proche, tandis que d’autres, avec une trajectoire aussi fulgurante auraient eu immédiatement la grosse tête. » Sans être ni conservateur, ni énarque, ni engagé en politique, Manuel Rabaté semble avoir installé sa légitimité dans le monde des happy few de la culture. « Il s’est illustré, étape après étape, par ses talents de gestionnaire et de négociateur », raconte Marc Ladreit de Lacharrière qui l’a repéré au sein de l’agence France-Muséums, lui confiant de nouvelles responsabilités avant de finir par proposer son nom aux Emiriens, conjointement avec le directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez. Notre ami Manuel a réussi à garder la douzaine de musées français partenaires autour de la table, unis et solidaires. Ce n’était pas une mince affaire car il y a eu des retards de financement, la crise des subprimes, le printemps arabe et, malgré toutes les incertitudes, nous n’avons jamais désespéré que le projet aboutisse. Manuel était déterminé. Il y croyait à fond. »
Ambition culturelle inégalée, le Louvre Abu Dhabi ouvre tandis que deux autres projets similaires – le Guggenheim et le National Museum en partenariat avec le British Museum – restent dans le même périmètre au stade gestationnel. Devenu le « premier musée universel » de la région, il propose un accrochage inaugural de 600 oeuvres relatant l’histoire des civilisations, des cultures et des religions, illustrée notamment par l’exposition d’un feuillet du Coran bleu, d’une Bible gothique, d’un Bodhisattva du IIe ou IIIe siècle et d’une tête de Bouddha en marbre blanc originaire de Chine. Parmi les 300 prêts concédés par les musées partenaires français figurent La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci, qui vient du Louvre de Paris, un autoportrait de Vincent Van Gogh (Orsay) et un reliquaire du XIIIe siècle (Cluny). Il s’agit avant tout d’envoyer « un message de tolérance » et de célébrer « la fascination innée des hommes pour la découverte », souffle Mohamed Khalifa Al Mubarak, président de l’Autorité du tourisme et de la culture des Emirats arabes unis, pays qui compte 10 millions d’habitants. « Les panneaux dans les salles et les cartels donnent des clés de compréhension et de lecture, détaille Rabaté. Notre scénographie, répartie sur un espace de 8 600 m2 vise à donner un confort réel à tous les visiteurs. »
D’une durée de trente ans (courant donc jusqu’en 2037), l’accord prévoit que la France apporte son expertise, prête des oeuvres et organise des expositions temporaires moyennant un milliard d’euros, dont la seule concession du nom « Louvre » rapporte déjà 400 millions d’euros. Conçu par Jean Nouvel, le dôme de 180 mètres de diamètre, qui paraît survoler les bâtiments et pèse le même poids que la tour Eiffel, n’est retenu que par quatre piliers distants de 110 mètres. Le bâtiment, sis sur l’île de Saadiyat « félicité » est pharaonique : « Nous souhaitons capter les grands flux touristiques internationaux mais aussi trouver notre place dans le tissu local et attirer les Emiriens », explique son directeur. Ceinture marron de jujitsu, cet adepte des arts martiaux, père de deux enfants, ne devrait avoir aucune peine à garder son sang-froid, même par les 40 °C qui sévissent la moitié de l’année dans cette contrée désormais attractive. GUYONNE DE MONTJOU
Des trésors exceptionnels pour nourrir le dialogue des cultures