Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Depuis que le chef de l’Etat en personne a fait de la lutte contre les harcèlements sexuels et sexistes la grande cause de son quinquennat, on se sent moins fier – pour ne pas dire un peu honteux – d’être un homme. Surtout quand tombent les statistiques : des milliers de femmes, battues, violées ou assassinées sans que les hommes ne figurent jamais (ou très rarement) à ce martyrologe. Tellement de femmes se plaignent aujourd’hui d’avoir été forcées dans leur retranchement qu’on ne peut plus plaider l’innocence ni accuser la nature de ne pas s’être montrée plus câline dans l’organisation de la procréation. On culpabilise si l’on a été dans une existence antérieure et plus active demandeur de faveurs que la nouvelle civilité virile et honnête commandera d’attendre patiemment en lisant des traités de savoir-vivre. Car, dans le plus aimable des cas, quel est celui d’entre nous qui ne s’est pas cru obligé de faire ce qu’on appelait autrefois la cour pour obtenir le droit de monter jusqu’à l’entresol ? Quel mâle peut-il affirmer qu’il n’a pas été jadis, entre puberté et impuissance, très goujat ou un peu pervers ?
J’ai connu la presse de l’après-guerre et la libéralisation des moeurs en l’absence de maladies graves. En toute heure et en tout lieu, tout le monde s’allongeait avec tout le monde. Les stagiaires ne se présentaient pas munies d’un ordinateur mais enrobées de la lingerie fine. L’avancement était plus rapide et les mariages plus nombreux puisque les grossesses n’allaient pas sans régularisation. Les mieux élevés ou les moins séduisants assortissaient leur démarche d’un dîner aux chandelles, d’un week-end ou d’une bague de fiançailles. On se retrouvait plus souvent dans une auberge de campagne que dans un commissariat de quartier. Sans doute, les historiens de notre sexualité dateront-ils du millésime en cours l’avènement d’une nouvelle morale avec l’apparition dans le droit français de « la présomption de non-consentement ». Naguère (c’est-àdire l’année dernière encore), il suffisait pour encourager les quêteurs de bonnes fortunes de la douceur du regard d’une belle qui pensait seulement à autre chose. Les deux principaux sexes se partageaient les appas : décolleté et minijupe pour les unes ; eau de toilette et voiture de sport pour les autres. Dorénavant, la préparation trop minutieuse d’un rendez-vous galant établira, pour peu que l’affaire tourne mal, une préméditation sanctionnée par la loi. La chasse à l’homme sera ouverte toute l’année avec la bénédiction des politiciens n’ayant pas encore été suspectés de chatouiller la voûte plantaire de leur secrétaire. Les Diane ont généralement pour arme un Dalloz. Présidente de cour d’assises, avocate de renom, neurobiologiste, elles tirent à bout portant en utilisant des munitions remontant à plusieurs décennies. A la télé, à la radio, dans les gazettes, elles égrènent volontiers les plus mauvais souvenirs de l’époque où, par gentillesse ou faiblesse, elles se laissaient draguer. L’odieux manège aurait duré longtemps si d’anciennes apprenties stars n’avaient pas profité de leur retraite pour révéler l’abusive conception du bout d’essai du plus important producteur hollywoodien. Pour avoir effleuré une invitée contre son gré, le principal animateur américain des petits écrans ne touche plus aucun salaire. Des ministres, des parlementaires, des grands patrons ont pris la suite de Dominique Strauss-Kahn. A ceci près que celui qui aurait dû occuper la place de François Hollande à l’Elysée si une femme de chambre guinéenne ne s’était pas rebellée et dont l’insistance constituait le charme, pratiqua davantage l’agression que le déduit sans être jamais pénalement condamné.
La brèche était ouverte. Une foule de contemporaines n’a pas fini de s’y engouffrer, soutenues par des moralistes pas toujours irréprochables. Juste retour. Hier, don Juan se prononçait nymphomane au féminin. Demain, le plus courtois des séducteurs sera répertorié comme un infâme suborneur. Le moment est donc venu de supprimer le devoir conjugal à la fois motif de divorce si l’on s’y refuse et déclencheur de procédure si l’on exige sa réalisation. De même, la langue française, si riche, devra renoncer à désigner par l’unique mot « amour » le pire et le meilleur de la procréation ou de ses simulacres. Les hostilités vont se poursuivre jusqu’à la fin des temps ou jusqu’à ce que les généticiens aient accouché d’une société strictement féminine. Chez nous, le bilan est déjà lourd : 32 millions d’hommes mis en examen de conscience, 64 millions de mains baladeuses ; cinq fois plus de doigts qui se crispent, s’agrippent ou s’enchevêtrent. Si l’on ne range pas le mariage - fût-il pour tous - dans la panoplie des vieilles lunes, la législation contre l’esclavage contraindra bientôt les époux à tirer au sort quotidiennement celui qui descendra les ordures ou qui promènera le chien. D’ici là, le sexe prétendu fort portera les fardeaux de la bête à deux dos comme si le couple n’en possédait qu’un seul.
On se retrouvait plus souvent dans une auberge de campagne que dans un commissariat de quartier