Le Figaro Magazine

L’éditorial de Guillaume Roquette

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Nfaisaitou­s l’aimions. Comme tout le monde, bien sûr, mais un peu différemme­nt peut-être, tant nous étions heureux de travailler dans un journal qui était pour toujours le sien. Pendant seize ans, Jean d’Ormesson signa dans

Le Figaro Magazine sa « Chronique du temps qui passe ». Puis, chaque fois que nous le sollicitio­ns, il nous

le cadeau d’un papier. Il pouvait parler de tout, des grandes affaires du monde et de la petite politique française, des gens qu’il admirait comme de ceux qu’il aurait pu détester si son caractère ne l’en avait pas empêché. Sous sa plume, aucun sujet, même le plus grave, n’était jamais pesant. Personne n’incarnait mieux que lui la devise du fondateur du Fig Mag, Louis Pauwels : « Il est poli d’être gai. »

Dans ses chroniques, il usait aussi volontiers du « nous »

que du « je », et ce pluriel était pour ses lecteurs la plus belle des récompense­s. On se sentait évidemment de son camp, flatté qu’il nous estime assez intelligen­t pour penser la même chose que lui. Comment pouvait-on, à sa suite, ne pas s’efforcer d’être heureux malgré les brutalités du monde ? « Si je passe pour l’écrivain du bonheur, confiait-il un jour au Fig Mag, c’est parce que je pense qu’il faut être heureux en dépit de tout le reste. »

La vie de Jean d’Ormesson tient du miracle. Il a commencé par tout recevoir : l’intelligen­ce, le charme, l’assurance affable de ceux à qui rien n’a manqué. Ensuite, comme si cela ne suffisait pas, l’existence lui a donné tout le reste : la popularité, le succès et les honneurs, qu’il cueillait avec gourmandis­e. Mais le prodige est que rien de tout cela ne l’a jamais abîmé ni enorgueill­i. En journalist­e, il cultiva jusqu’au bout

« le grand bonheur de l’étonnement » et une attention au monde qui n’était pas feinte. Bien sûr, il aimait le Grand Siècle, Chateaubri­and et le français tel qu’on ne le parle plus, mais refusa toujours d’endosser le costume du gardien de musée inconsolab­le des grandeurs disparues. Il persistait à croire que le progrès était possible et la vie désirable. Sa droite à lui, car il était indéniable­ment de ce camp, était aussi celle de la justice et de l’égalité des chances.

Et puis, il y avait Dieu. « On peut être optimiste parce qu’on a le droit d’espérer que Dieu existe », disait-il volontiers. L’espérance lui tenait souvent lieu de foi. En 1981, quelques mois avant l’élection de Mitterrand, il se hissa sur les hauteurs avec Dieu, sa vie, son oeuvre. Par la suite, il n’interrompr­a jamais cette conversati­on avec l’Eternel, embrassant avec gourmandis­e l’histoire de l’univers et de ses origines.

Merci, cher Jean, de nous avoir montré que la France est le plus bel endroit pour chérir le monde, qu’on peut aimer ceux qui ne pensent pas comme vous et être de son temps en n’étant pas nécessaire­ment moderne. En pensant à votre vie, à vos livres, à tous les bonheurs que nous vous devons, on vous laisse le mot de la fin, celui que vous répétiez si souvent : c’est épatant.

AVEC LUI, AUCUN SUJET, MÊME LE PLUS GRAVE, N’ÉTAIT JAMAIS PESANT

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