De notre correspondant... à Londres
Installé au rez-de-chaussée du 9 Downing Street, David Davis a vue directe sur la célèbre porte d’entrée de sa voisine du numéro 10. « Pratique, quand on a un problème à régler rapidement ; c’est le seul avantage », s’amuse-t-il. Le bureau est modeste, sans rapport avec l’énormité de la tâche qui incombe à son occupant. Ministre de la Sortie de l’Union européenne, ce poids lourd du gouvernement de Theresa May orchestre le plus profond changement qu’ait connu le Royaume-Uni depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s’en acquitte avec la rondeur et la jovialité du politicien madré qu’il est. A bientôt 69 ans, c’est sans doute le dernier acte de sa carrière, même si sondages et bookmakers le donnent dans le trio de tête des prétendants à la succession de Theresa May au poste de Premier ministre.
Il garde derrière lui le bâton de montagnard offert par le Savoyard Michel Barnier, négociateur du Brexit pour l’Union européenne, adepte comme lui de la marche. Encore loin du sommet, une première étape majeure de la randonnée semble à porter de vue, la semaine prochaine. Un Conseil européen où les Vingt-Sept devraient constater des « progrès suffisants » dans les négociations du divorce pour passer à la seconde phase, consacrée à la future relation commerciale entre le Royaume-Uni et l’UE. Sauf surprise, le clash maintes fois annoncé par les Cassandre n’a pas eu lieu. Cela tient en partie à l’habileté de Davis.
Cet eurosceptique a longtemps fait campagne pour sortir de l’Union européenne, sans l’hystérie d’autres politiciens britanniques. Issu d’un milieu modeste, il s’est engagé comme réserviste dans les commandos SAS pour financer ses études. Il y a gagné une réputation de dur à cuire, confirmée par un nez cassé lors d’une rixe. Député tory à 38 ans, il devient ministre de l’Europe sous John Major, dans les années 1990, à l’époque de l’adoption du traité de Maastricht. Son homologue français est alors un certain Michel Barnier. Après l’échec de sa tentative pour prendre la tête du Parti conservateur en 2005, Davis rejoint le gouvernement « fantôme » de son rival victorieux, le jeune et ambitieux David Cameron. Il l’influence pour lui faire adopter des positions de plus en plus hostiles à l’Europe. Mais il est limogé par ce dernier en 2008 après un coup d’éclat : sa démission de son siège de député pour protester contre des lois antiterroristes. Sa nomination au gouvernement par Theresa May après le référendum de juin 2016 est une surprise. Elle préfère ressusciter ce politicien sur le retour plutôt que de charger du dossier délicat du Brexit l’imprévisible Boris Johnson. Pragmatique, David Davis se montre capable de compromis, dont l’acceptation par Londres d’une facture de sortie de quelque 50 milliards d’euros n’est pas le moindre. Cet homme qui prend son thé avec cinq sucres sait dire à chacun ce qu’il veut entendre : aux Européens, que la probabilité d’une sortie sans accord avec eux est infime, quand il assure aux « Brexiters » s’y préparer activement. Les six « rounds » de négociation en face-à-face avec Barnier à Bruxelles ont souvent tourné à des séances d’humiliation du Britannique par son homologue européen. Mais, pour le flegmatique Davis, aucun problème ne semble insoluble. A Londres aussi, il essuie les critiques pour sa gestion parfois dilettante des dossiers. Au Parlement, il s’est targué de s’appuyer sur 58 analyses sectorielles approfondies de l’impact du Brexit sur l’économie. Quand les députés ont demandé à les voir, le ministre s’est d’abord retranché derrière leur prétendue confidentialité, avant d’être forcé de reconnaître que de tels documents n’existaient pas… et d’ordonner à ses équipes de les rédiger en catastrophe. Plusieurs collaborateurs de Davis ont tour à tour claqué la porte de son ministère. Et, dans la dernière ligne droite, la négociation politique avec les Européens a été reprise en main par Theresa May, assistée de son sherpa dédié, Oliver Robbins, piqué à son voisin du 9 Downing Street.
Une réputation de dur à cuire